Prendre la parole au sein de « la mère des parlements », comme on a surnommé Westminster pour son rôle démocratique pionnier, n’est jamais anodin. Il y a soixante-cinq ans, le discours du général de Gaulle avait fait forte impression. L’ancien hôte de Carlton Gardens avait su flatter l’âme anglaise tout en faisant passer quelques messages. En s’adressant ce mardi devant les deux chambres - Communes et Lords - réunies, Emmanuel Macron avait à son tour à cœur de raviver le lien entre les deux nations, après des années de froid consécutives au Brexit. Et de réussir une visite d’État - la première pour un président français depuis Nicolas Sarkozy en 2008 - qualifiée « d’historique » par Downing Street.

Le 7 avril 1960, au palais de Westminster, le Général avait longuement vanté les institutions britanniques. « Sûrs de vous-mêmes, sans presque en avoir l’air, vous pratiquez, dans la liberté, un régime solide et stable, avait lancé de Gaulle. Si fortes sont chez vous, dans le domaine politique, la tradition, la loyauté, la règle du jeu, que votre gouvernement est tout naturellement doté de cohésion et de durée ; que votre Parlement a, au long de chaque législature, une majorité assurée ; que ce gouvernement et cette majorité sont accordés en permanence. » Le Guardian avait trouvé cette admiration un peu excessive. « Il nous peint parfois plus stables et plus nobles que nous ne le sommes en réalité », avait écrit le journal. L’histoire politique récente montre que le vaisseau peut parfois un peu tanguer…

Le Royaume-Uni et la France doivent montrer encore une fois au monde que leur alliance peut faire toute la différence

Emmanuel Macron

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Autre époque, autres mots. Avec moins d’emphase, Emmanuel Macron veut réchauffer le lien, après le froid qui est tombé sur les relations bilatérales dans le sillage de la sortie du Royaume-Uni de l’UE en 2020. C’est « un moment important pour nos nations » et « c’est aussi un moment important pour notre Europe », a dit le président français en posant le pied sur le sol anglais. En estimant qu’il fallait « ouvrir de nouvelles voies de coopération respectueuses de nos intérêts réciproques ».

Après l’accueil royal à Windsor, le président français s’est adressé directement - et en anglais - aux représentants du peuple britannique, députés et lords réunis dans la Galerie royale. Avec une pointe d’humour au début de son discours, il a rappelé que les Français aimaient beaucoup la monarchie, à partir du moment où elle n’est pas en vigueur chez eux…

«Les Européens n’abandonneront jamais l’Ukraine »

Plus solennellement, Emmanuel Macron a déclaré que les deux pays devaient travailler ensemble pour « défendre un multilatéralisme efficace et protéger l’ordre international » issu de la Seconde Guerre mondiale. « Le Royaume-Uni et la France doivent montrer encore une fois au monde que leur alliance peut faire toute la différence », a-t-il dit. Il a longuement évoqué l’Ukraine et le soutien commun des deux pays à Kiev, depuis les premiers jours de l’invasion russe. Suscitant un torrent d’applaudissements, Emmanuel Macron a martelé que « les Européens n’abandonneront jamais l’Ukraine ». « Ce qui est en jeu, c’est notre sécurité et nos principes, la possibilité d’une Europe en paix. C’est ce qui est en jeu en Ukraine, rien de moins », a-t-il déclaré. II a ensuite appelé à un « cessez-le-feu sans conditions à Gaza ».

Estimant que la décision des Britanniques de quitter l’UE est « profondément regrettable », le président français a déclaré la respecter et « soutenir les efforts du premier ministre Keir Starmer  pour restaurer la confiance ». Le président français a assuré qu’après le sommet politique qui se tiendra jeudi, les deux pays allaient franchir une nouvelle étape dans leur coopération en matière de défense. Reconnaissant qu’il est très attendu sur la question migratoire, il a promis « des résultats tangibles » dans la lutte contre l’immigration clandestine, annonçant des « décisions » à l’issue du sommet.

Nos deux pays sont confrontés à une multitude de menaces complexes, provenant de multiples directions. En tant qu’amis et alliés, nous les affrontons ensemble

Le roi Charles III

Après ce discours symbolique, Emmanuel Macron va entrer dans le vif des dossiers concrets avec le premier ministre britannique, lors d’un déjeuner de travail à Downing Street, mercredi. Le sujet le plus important et le plus épineux reste bien celui de la lutte contre l’immigration illégale. Keir Starmer, sous pression avec des chiffres de traversées de la Manche records, voudrait annoncer un accord avant la fin de la visite, jeudi. Deux points sont notamment sur la table. Londres demande depuis longtemps que les gendarmes français interviennent dans l’eau, à courte distance du rivage, contre les bateaux des passeurs. Jusqu’ici, conformément au droit maritime, les forces de l’ordre n’intervenaient pas contre les esquifs une fois mis à l’eau. Mais Paris travaille à une nouvelle doctrine d’emploi de ses forces. L’autre avancée pourrait être un accord d’échange de migrants « un contre un », le Royaume-Uni accepterait certains migrants et en renverrait autant en France.

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Après cette séquence parlementaire, le couple présidentiel est reparti pour Windsor et un dîner d’État. Le matin, il y avait été reçu par Charles III, avec qui Emmanuel Macron entretient une excellente relation, et la reine Camilla. Avant cela, les Français avaient été accueillis par le prince héritier William et son épouse, Kate, sur le tarmac de la base militaire de Northolt. « Nos deux pays sont confrontés à une multitude de menaces complexes, provenant de multiples directions. En tant qu’amis et alliés, nous les affrontons ensemble », devait dire le souverain de 76 ans, toujours en traitement pour un cancer. Ajoutant que « ces défis ne connaissent pas de frontières », un mot qui n’a rien d’anodin dans le contexte actuel.

Au Parlement, Emmanuel Macron a aussi annoncé que la tapisserie de Bayeux allait être prêtée au British Museum, en échanges de pièces issues du trésor archéologique de Sutton Hoo, un navire-tombe découvert en 1938 dans le sud-est de l’Angleterre. Il a vanté un « échange sans précédent », qui « marque la volonté de revivifier la relation culturelle entre nos deux pays et la confiance qu’il y a aujourd’hui entre nous ». La diplomatie passe aussi par ces gestes ancrés dans l’histoire.