Et si l’un des remèdes aux maladies chroniques du foie se trouvait… dans nos intestins ? C’est la piste étonnante explorée par des chercheurs chinois, qui viennent de mettre en lumière les vertus thérapeutiques d’un champignon intestinal courant, Fusarium foetens, contre la stéatose hépatique métabolique avancée, aussi connue sous le nom de MASH. Ce trouble grave du foie, qui touche plus d’un adulte sur quatre dans le monde, pourrait un jour être mieux traité grâce à ce micro-organisme longtemps négligé.
MASH : une maladie du foie silencieuse mais redoutable
La stéatose hépatique métabolique (MAFLD), anciennement appelée « stéatose hépatique non alcoolique », est une maladie liée à une accumulation de graisses dans le foie, souvent associée à l’obésité, au diabète de type 2 ou à un mode de vie sédentaire. Elle peut évoluer en MASH (stéatohépatite), une forme plus sévère, marquée par une inflammation chronique et des lésions hépatiques pouvant mener à la cirrhose ou au cancer du foie.
Malgré sa prévalence mondiale alarmante, les options de traitement restent extrêmement limitées. Un seul médicament est actuellement approuvé par la FDA (Agence américaine des médicaments), et son efficacité est loin d’être universelle. D’où l’urgence de trouver de nouvelles pistes thérapeutiques.
Le microbiote intestinal, un acteur-clé du foie
Depuis quelques années, les scientifiques s’intéressent de plus en plus à l’impact du microbiote intestinal sur la santé du foie. En effet, le foie est directement exposé aux métabolites produits par les milliards de micro-organismes vivant dans nos intestins, via la veine porte.
Mais si les bactéries intestinales ont été abondamment étudiées, les champignons (ou mycobiote) sont restés dans l’ombre. En cause : leur culture est difficile en laboratoire, et les échantillons sont facilement contaminés par des spores présentes dans l’air. Résultat, les champignons intestinaux sont parfois qualifiés de « matière noire » du microbiote.

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Une illustration du microbiome intestinal. Crédits : iLexx/istockUne technique inédite pour cultiver les champignons de l’intestin
Dans une étude publiée début mai dans la revue Science, une équipe menée par le professeur Changtao Jiang, de l’université de Pékin, a franchi un cap. Grâce à un système de culture innovant imitant les conditions de l’intestin humain, les chercheurs ont pu isoler des champignons à partir de selles humaines.
Le procédé utilise des puces remplies de gelée nutritive, plongées dans des extraits fécaux, permettant aux nutriments (mais pas aux microbes) de traverser une membrane et de favoriser la croissance fongique dans des compartiments séparés. Cette méthode a permis de contourner les contaminations et d’identifier les champignons réellement présents dans l’intestin.
Fusarium foetens, un candidat inattendu mais prometteur
Parmi les nombreuses espèces analysées, une souche s’est démarquée : Fusarium foetens, un champignon largement répandu dans le monde et capable de survivre dans les conditions particulières de l’intestin (température de 37°C, faible taux d’oxygène). Ce microchampignon, jusque-là anodin, pourrait bien se révéler thérapeutique.
Pour tester son efficacité, les chercheurs ont administré F. foetens à des souris atteintes de MASH, provoquée par un régime très riche en graisses. Résultat : si le poids des souris restait similaire, leur foie était significativement moins affecté. Les rongeurs traités présentaient moins d’inflammation, moins de fibrose et des taux réduits de céramides, des lipides associés à la progression de la maladie.
Une action ciblée sur les graisses hépatiques
L’étude a révélé que F. foetens agit en diminuant l’activité de la céramide synthase, une enzyme clé dans la fabrication des céramides. Moins de céramides, c’est moins de stress métabolique pour les cellules du foie. Ces résultats ont été confirmés par des tests sur des souris génétiquement modifiées pour produire plus ou moins de céramides, consolidant le mécanisme d’action du champignon.
« Les effets uniques de F. foetens sont véritablement miraculeux », a déclaré le professeur Jiang. Un enthousiasme partagé par d’autres experts, comme Kim Lewis, chercheur en microbiome à l’Université Northeastern, qui n’a pas participé à l’étude : « Cette découverte inattendue ouvre une nouvelle voie pour exploiter les microbes que nous connaissons à peine afin de traiter les maladies humaines. »
Une promesse pour demain
L’étude n’en est encore qu’à ses débuts. Les résultats ont été obtenus chez des souris, et il faudra confirmer l’efficacité du champignon chez l’humain lors d’essais cliniques. Les chercheurs comptent également identifier d’autres champignons intestinaux bénéfiques et explorer les voies moléculaires impliquées dans ces effets.
Mais cette découverte souligne un changement de paradigme : la clé de nombreuses maladies chroniques pourrait se cacher dans les coins les plus inexplorés de notre microbiote. Et parfois, une solution simple – un champignon microscopique – pourrait faire une grande différence.