Et si l’histoire de notre propre lignée avait commencé bien plus tôt qu’on ne le pensait ? Une équipe de paléontologues vient de mettre au jour des empreintes fossiles dans le sud-est de l’Australie qui pourraient bouleverser la chronologie établie de l’évolution des vertébrés terrestres. Ces traces suggèrent en effet que les amniotes — le groupe d’animaux comprenant les reptiles, les oiseaux, et les mammifères — seraient apparus 30 à 40 millions d’années plus tôt qu’on ne le pensait jusqu’à présent.
Si cette interprétation se confirme, cette découverte pourrait changer en profondeur notre compréhension des origines de la vie sur la terre ferme.
Une étape clé dans l’évolution : l’œuf amniotique
Pour bien comprendre l’enjeu, il faut revenir à ce qui distingue les amniotes des autres vertébrés. Les premiers animaux à avoir quitté les océans, les ancêtres des amphibiens modernes, étaient encore dépendants de l’eau pour leur reproduction. Leurs œufs, dépourvus de protection, devaient être pondus dans des milieux humides. C’est l’apparition de l’œuf amniotique, protégé par une membrane appelée amnios, qui a permis une véritable indépendance vis-à-vis des milieux aquatiques.
Cette innovation a marqué une rupture évolutive majeure. Les vertébrés ont alors pu coloniser des environnements éloignés de l’eau, ouvrant la voie à une diversification exceptionnelle. C’est cette transition que l’on croyait jusque-là survenue au Carbonifère supérieur, il y a environ 320 millions d’années. Mais les nouvelles traces découvertes en Australie remettent en question cette datation.
Des empreintes vieilles de 355 millions d’années
Tout commence près de Mansfield, dans l’État de Victoria. Alertés par des habitants intrigués par des marques inhabituelles sur des affleurements rocheux, le professeur John Long et son équipe de l’Université Flinders se rendent sur place. Ce qu’ils découvrent dépasse toutes leurs attentes : une série d’empreintes fossiles incroyablement bien conservées, datant de 355 millions d’années, soit du tout début du Carbonifère.
La qualité de la préservation est telle que l’on distingue même des marques de griffes précises, ainsi que des traces laissées par des gouttes de pluie. Pour les paléontologues, il ne fait guère de doute : un animal à griffes a parcouru cette surface autrefois boueuse. Et cette caractéristique anatomique est cruciale, car aucun amphibien connu ne possède de griffes. Ces traces ne peuvent donc pas être attribuées à un animal amphibien, mais à un amniote.
Un bouleversement de la chronologie évolutive
Cette observation remet en cause la chronologie traditionnelle. Si un animal doté de griffes, donc probablement amniote, a laissé ces empreintes il y a 355 millions d’années, cela implique que ce groupe avait déjà émergé à cette époque. Or, une telle évolution ne peut pas survenir brusquement. Il faudrait donc envisager que les premiers amniotes aient évolué durant le Dévonien, une période antérieure, comprise entre 419 et 359 millions d’années.
En repoussant l’origine des amniotes de plusieurs dizaines de millions d’années, cette découverte change notre vision de l’histoire évolutive des vertébrés. Elle laisse également entrevoir une origine potentielle dans l’hémisphère sud, sur le supercontinent Gondwana, dont faisait alors partie l’Australie.

Crédit image : Grzegorz Niedzwiedzki
Une confirmation venue de Pologne
Comme un écho inattendu, une autre trace d’amniote a été découverte récemment en Pologne. Bien qu’un peu plus récente que celle de Mansfield, elle établit elle aussi un record d’ancienneté si l’on fait abstraction de la piste australienne. Elle renforce surtout l’idée que les amniotes avaient commencé à se disperser largement à cette époque, trouvant peu de compétition loin des zones aquatiques.
Quand l’empreinte supplante le squelette
Certains paléontologues considèrent les empreintes fossiles comme des preuves secondaires, comparées aux ossements ou aux dents. Mais cette étude démontre que les empreintes peuvent fournir des informations précieuses, en particulier sur le comportement et la locomotion des animaux.
Comme le souligne le paléontologue Aaron Camens, co-auteur de l’étude : « Un squelette peut nous dire ce qu’un animal pouvait faire. Une empreinte nous montre ce qu’il a réellement fait. »
Dans ce cas précis, une simple dalle de roche, que l’on pourrait soulever à la main, vient défier des décennies de certitudes scientifiques sur les origines de notre propre lignée évolutive.
Une nouvelle histoire à écrire
Il faudra bien sûr d’autres éléments, notamment des squelettes fossiles, pour confirmer définitivement cette hypothèse. Mais cette découverte montre à quel point notre connaissance de l’évolution reste en construction, et combien il reste à apprendre des archives silencieuses de la Terre.
Grâce à ces empreintes australiennes, notre compréhension de l’histoire des vertébrés — et donc, indirectement, de l’histoire humaine — vient peut-être de faire un bond en arrière de plusieurs dizaines de millions d’années.
Le détails de l’étude sont publiés dans la revue Nature.