Pendant des décennies, les racines des plantes ont été vues comme de simples structures secondaires, utiles pour s’ancrer dans le sol et puiser eau et nutriments en surface. Mais une nouvelle étude vient bouleverser cette vision. Et si certaines plantes, en secret, exploraient les profondeurs de la Terre ? Et si ces racines invisibles pouvaient jouer un rôle insoupçonné dans la lutte contre le changement climatique ?
Une recherche publiée le 17 juin dans la prestigieuse revue Nature Communications révèle l’existence d’un second système racinaire, profondément enfoui, que l’on retrouve chez environ une plante sur cinq. Un réseau souterrain discret, mais stratégique, qui pourrait changer notre compréhension des plantes… et de la planète.
Un réseau souterrain caché
Pour mener cette étude, les scientifiques ont analysé une vaste base de données mondiale d’échantillons de sol, extraits jusqu’à 1,8 mètre de profondeur, sur 44 sites répartis dans le monde entier — des forêts tropicales de Porto Rico aux toundras gelées d’Alaska. Leur but : comprendre comment les racines s’organisent dans des contextes climatiques et écologiques très différents.
À leur grande surprise, les chercheurs ont constaté qu’environ 20 % des plantes analysées présentaient un schéma racinaire bimodal : un premier réseau de racines en surface, comme on s’y attendait… et un deuxième réseau plus profond, à environ un mètre sous terre. Un phénomène qu’ils ont appelé “bimodalité”.
« Nous avons été très surpris par la fréquence à laquelle ce schéma se manifeste », déclare Mingzhen Lu, écologiste à l’université de New York et auteur principal de l’étude. Jusque-là, la science supposait que les racines devenaient de plus en plus rares avec la profondeur. Mais il semble que certaines plantes fassent le choix stratégique d’explorer les couches profondes, en fonction des conditions environnementales.
Pourquoi aller si profond ?
Mais que vont chercher ces racines “fantômes” dans les entrailles de la Terre ? La réponse semble simple : des nutriments précieux, notamment de l’azote, souvent plus abondants dans les couches profondes du sol. Lorsque les ressources se font rares en surface – par exemple lors de sécheresses ou dans des sols pauvres – certaines plantes activent leur “plan B” et envoient des racines explorer plus bas.
Ce comportement ne semble pas systématique, ce qui indique une forme d’adaptabilité opportuniste. « C’est plutôt un choix », explique Lu. « Avec une motivation suffisante, les plantes vont creuser plus profondément pour chercher ce dont elles ont besoin. »

Un atout inattendu dans la lutte contre le réchauffement
Cette découverte va bien au-delà de la simple curiosité botanique. Car ces racines profondes ne se contentent pas de puiser des nutriments : elles stockent aussi du carbone. Or, le sol est déjà le plus grand réservoir de carbone de la planète, bien plus que l’atmosphère ou la végétation.
Si ces systèmes racinaires profonds sont plus répandus qu’on ne le pensait, alors le potentiel de stockage du carbone dans le sol est largement sous-estimé. Cela pourrait transformer notre approche de la séquestration du carbone, un levier crucial pour limiter les effets du changement climatique.
« Notre bilan carbone terrestre actuel est probablement erroné », alerte le pédologue Alain Pierret, de l’Institut national de recherche pour le développement (INRD). Et si nous passions à côté d’un puissant mécanisme naturel d’atténuation du réchauffement, déjà à l’œuvre sous nos pieds ?
Il faut creuser plus profond — au sens propre
Cette étude met aussi en lumière une lacune majeure dans la recherche sur les sols : nous ne creusons pas assez profond. De nombreuses études sur les racines ou le carbone s’arrêtent à 30 ou 50 centimètres, faute de moyens techniques ou par habitude scientifique.
« Un échantillonnage à 10 ou 30 cm de profondeur ne suffit tout simplement pas », insiste Lu. Pour comprendre réellement ce que font les plantes, il faut explorer plus bas, vers ces zones obscures où s’opèrent des échanges complexes entre racines, eau, minéraux… et carbone.
Vers un futur souterrain prometteur ?
Il reste encore beaucoup à découvrir. Pour Pierret, ces systèmes racinaires pourraient ne pas être simplement bimodaux, mais multimodaux, avec plusieurs couches encore plus profondes non détectées par cette étude. L’équipe de recherche travaille actuellement à approfondir cette piste.
Mais une chose est sûre : les plantes cachent encore de nombreux secrets, et certains d’entre eux pourraient bien nous aider à mieux lutter contre la crise climatique. Par leur simple croissance, leur adaptabilité et leur capacité à aller chercher les nutriments en profondeur, elles pourraient devenir des alliées naturelles du climat. Encore faut-il apprendre à les écouter… et à creuser un peu plus sous la surface.