Un trou noir supermassif, situé à plus de 11 milliards d’années-lumière, vient d’être révélé comme jamais auparavant. Grâce à la « lueur fantôme » du Big Bang et au télescope spatial Chandra, les astronomes ont capturé une image unique d’un jet cosmique gigantesque. Une découverte fascinante… qui pourrait bien être la dernière du genre.
Un « sabre laser cosmique » venu du passé
Les trous noirs ne sont pas que des gouffres d’obscurité : lorsqu’ils sont en pleine activité, ils peuvent projeter des jets de matière et d’énergie à des vitesses proches de celle de la lumière. C’est ce que les astronomes appellent des quasars, et celui baptisé J1610+1811, découvert en 2018, vient de livrer un de ses secrets les plus spectaculaires.
Ce quasar, situé à environ 11,6 milliards d’années-lumière, nous apparaît tel qu’il était lors du « midi cosmique », une période charnière entre 2 et 3 milliards d’années après le Big Bang, où les galaxies et les trous noirs connaissaient une croissance explosive.
Mais ce n’est qu’en 2024, grâce au télescope spatial Chandra de la NASA, que les chercheurs ont pu capter une image de son jet d’énergie colossal, long de 300 000 années-lumière, soit environ trois fois la taille de notre Voie lactée. Une performance technique, mais aussi une prouesse cosmique.
Un jet visible grâce à la rémanence du Big Bang
Normalement, ces jets lointains sont très difficiles à observer. Ils sont souvent orientés dans des directions opposées à la Terre et leur signal s’affaiblit à cause des effets relativistes. Pourtant, ici, le jet de J1610+1811 brille clairement dans les rayons X. Pourquoi ?
La réponse tient en un mot : CMB, pour Cosmic Microwave Background ou fond diffus cosmologique — cette lumière résiduelle du Big Bang qui baigne encore aujourd’hui tout l’univers.
Au moment du midi cosmique, le CMB était plus dense qu’il ne l’est aujourd’hui. Les électrons ultra-énergétiques du jet du quasar ont donc rencontré un nombre bien plus important de photons issus du CMB, les transformant en rayons X par un effet d’amplification (diffusion Compton inverse). Résultat : une rémanence fossile du Big Bang éclaire littéralement ce jet vieux de 11 milliards d’années.

Ce que cela change pour l’astronomie
L’image du jet de J1610+1811 n’est pas qu’une curiosité esthétique. Elle nous offre des indices précieux sur l’évolution des trous noirs supermassifs, ces monstres cosmiques qui atteignent parfois plusieurs milliards de masses solaires.
Pourquoi ces trous noirs ont-ils grandi si vite dans l’univers jeune ? Comment ces jets influencent-ils la formation des galaxies environnantes ? Comprendre ces mécanismes, c’est aussi mieux cerner l’histoire de notre propre galaxie.
Les chercheurs ont également capté une autre image, plus faible, d’un second quasar nommé J1405+0415, qui pourrait offrir des pistes complémentaires sur les jets actifs dans l’univers primordial.
Une découverte peut-être impossible à répéter
Le revers de cette prouesse scientifique, c’est qu’elle pourrait bien être l’une des dernières du genre. Le télescope spatial Chandra, lancé en 1999, fonctionne au-delà de sa durée de vie initialement prévue de 10 ans. Mais en 2024, il est menacé de fermeture prématurée à cause de coupes budgétaires historiques envisagées par l’administration américaine.
Si ces réductions sont confirmées pour 2026, Chandra serait mis hors service, laissant l’astronomie des rayons X orpheline de son outil principal. Plusieurs chercheurs, dont Andrew Fabian (Université de Cambridge) et Elisa Costantini (Institut néerlandais de recherche spatiale), ont déjà tiré la sonnette d’alarme.
Costantini parle d’un « trou noir dans nos connaissances », tandis que d’autres évoquent un « événement d’extinction scientifique » pour une génération entière d’astronomes spécialisés.
Quand l’univers éclaire l’univers
Cette image du jet de J1610+1811 n’est pas simplement impressionnante par sa taille. C’est l’histoire du cosmos qui éclaire elle-même ses propres mystères, à travers la rémanence du Big Bang. C’est une boucle fascinante, presque poétique : un trou noir illuminé par la lumière du temps zéro.
Et c’est peut-être l’une des dernières fois que nous pouvons capturer cette lumière, avant que le télescope qui l’a rendue visible ne soit éteint pour de bon.