Et si le plus grand génie du 20e siècle avait passé la fin de sa vie à regretter l’une de ses décisions les plus lourdes ? En 1952, dans une lettre adressée à un éditeur japonais, Albert Einstein revient sur son rôle dans l’essor de l’arme atomique. Alors que cette lettre manuscrite est aujourd’hui mise aux enchères, elle résonne comme un témoignage poignant sur les dilemmes moraux que la science impose à ceux qui la font avancer. Et nous rappelle qu’aucune découverte n’est jamais neutre.
Le poids d’un avertissement
En août 1939, Albert Einstein signa une lettre adressée au président américain Franklin D. Roosevelt, alertant sur la possibilité que l’Allemagne nazie développe une bombe atomique. Ce courrier, coécrit avec le physicien Leó Szilárd, n’avait pas pour but de lancer une course à l’armement, mais de sensibiliser le gouvernement américain à une menace bien réelle. Cette lettre fut l’étincelle qui lança le Projet Manhattan, le programme secret chargé de construire la première arme nucléaire.
Pourtant, Einstein lui-même ne participa pas directement à la mise au point de la bombe, restant principalement engagé dans la recherche théorique.
Une lettre de remords et de lucidité
Plus d’une décennie plus tard, en 1952, Einstein fut interrogé par Katsu Hara, un ami japonais et rédacteur en chef du magazine « Kaizō ». Dans une lettre devenue célèbre, il exprime ses sentiments ambivalents face à ce qu’il avait contribué à déclencher. Conscient du « terrible danger pour l’humanité tout entière » que représentait l’arme atomique, il explique qu’il n’avait pas vu d’autre issue face à la menace nazie.
Pourtant, il confesse un profond regret, qualifiant sa lettre à Roosevelt de « plus grande erreur » de sa vie. Pour lui, « tuer en temps de guerre n’est en aucun cas meilleur qu’un simple meurtre ». Ces mots traduisent la souffrance d’un homme pris entre la nécessité historique et ses convictions pacifistes.
Un plaidoyer pour la paix universelle
Au-delà de ce regret personnel, la lettre d’Einstein est un appel vibrant à l’abolition totale de la guerre. Il loue la figure de Mahatma Gandhi, qu’il considère comme le plus grand génie politique de son temps, pour son combat non-violent contre la domination coloniale britannique en Inde. Einstein voit en Gandhi un exemple à suivre, un modèle de libération et d’action politique pacifique. Cette position illustre la transformation d’Einstein, du scientifique impliqué dans un programme militaire à un fervent défenseur de la paix et de la coopération internationale. Pour lui, la science doit désormais servir à protéger la vie, et non à la détruire.

Une lettre historique à prix d’or
La lettre manuscrite d’Einstein est aujourd’hui mise aux enchères par la maison Bonhams. Il s’agit de la version anglaise officielle, traduite en 1953 par Herbert Jehle, physicien et collaborateur d’Einstein, à la demande de Katsu Hara.
Le document porte la signature d’Einstein, ainsi que quelques corrections manuscrites au crayon, témoignant de l’attention portée à ce message. Cette pièce unique, chargée d’histoire et d’émotion, devrait être vendue ce mardi 24 juin entre 100 000 et 150 000 dollars, un prix qui souligne la valeur inestimable d’un témoignage aussi fort.