Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, d'importants obstacles freinent la relève agricole, au point de retarder le transfert de certaines entreprises.

En 2019, après 50 ans de travail, l’entrepreneur de Roberval André Lévesque a passé les rênes de sa production maraîchère, Le Maraîcher du 1^er rang, à un agriculteur de la relève. Toutefois, après six saisons, ce dernier s’est désisté.

André Lévesque n'a pas hésité à sortir de sa retraite afin d'assurer la survie de sa ferme le temps que d'autres prennent la relève et pour conserver la fidélité de sa clientèle.

Je trouve que c'est important qu'on donne tous les efforts qu'il faut, affirme l'agriculteur d'expérience. Après une carrière bien remplie, il se dit toujours aussi passionné par son travail.

André Lévesque produit des petits fruits à Roberval depuis cinquante ans.

Photo : Radio-Canada / Claude Bouchard

Pour le copropriétaire de la ferme, Mathieu Parent, se retirer de l'entreprise après six ans n'a pas été une décision prise à la légère.

C'est un processus qui a pris du temps. Il fallait y réfléchir en profondeur. Ce n'est pas facile. C'est notre premier bébé qu’on abandonne, se désole l'agriculteur.

Alors qu’il investissait des milliers de dollars dans la reprise de la ferme, les ventes, elles, ont connu une baisse.

Avec la COVID, on a eu un boum au niveau de l’achat local, rappelle-t-il. Malheureusement ça n'a pas perduré dans le temps.

L'achalandage au kiosque a grandement diminué [...] dans les années où les dépenses augmentaient considérablement. Ce manque à gagner a grandement affecté les liquidités de la ferme, explique l’agriculteur.

Mathieu Parent, ancien propriétaire de la ferme Le Maraîcher du 1er rang, est bachelier en agronomie.

Photo : Radio-Canada / Claude Bouchard

Une saison dévastatrice

De surcroît, pour la ferme de Roberval et pour plusieurs autres agriculteurs, la saison 2023 a été catastrophique. Les pluies diluviennes de l’été ont dévasté les récoltes de fruits et légumes.

Malgré une aide de plusieurs millions de la part de Québec et d’Ottawa, certains agriculteurs comme Mathieu Parent ont dû se résoudre à jeter l’éponge.

C'est vraiment la lourdeur du contexte financier [...] parce que si on faisait abstraction de tout ce côté-là, on serait encore dans le champ en train de produire, affirme-t-il.

Le parcours est particulièrement ardu pour les nouveaux entrepreneurs agricoles. Selon l'Union des producteurs agricoles (UPA) du Saguenay–Lac-Saint-Jean, survivre aux cinq premières années d'activité relève de l'exploit.

Contrairement aux producteurs établis qui disposent d'une plus grande marge de manœuvre pour absorber une ou deux mauvaises saisons, les jeunes entreprises n'ont pas de pardon, souligne le président de l’UPA du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Jean-Thomas Maltais.

Des fraises et des framboises sont cultivées à la ferme Le Maraîcher du 1er rang.

Photo : Radio-Canada / Claude Bouchard

Un modèle agricole mutation

Selon Mathieu Parent, le modèle agricole au complet est à revoir.

Quand on est la relève, on a souvent la [volonté] d'être propriétaire de sa terre ou de ses bâtiments. Malheureusement [...] souvent, il va y avoir un déplacement vers des locations, rapporte-t-il.

Cette transition forcée reflète la difficulté croissante de financer l'acquisition d'actifs agricoles, selon lui.

Pour tenter de répondre à cette crise, l'UPA a mis sur pied des initiatives comme le programme L’ARTERRE, qui facilite le maillage entre les producteurs qui souhaitent assurer la continuité de leur entreprise et les aspirants agriculteurs.

En attendant que la prochaine relève prenne en main l’entreprise, André Lévesque s’affaire à nouveau dans les champs. Pour une autre année, le septuagénaire a lancé sa production de petits fruits, incapable de laisser en jachère cinq décennies de labeur.