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Tim Yip, arpenteur nomade

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Publié le 11 novembre 2025 à 08:30. 7 min. de lecture

Le Temps s’associe au Grand Théâtre de Genève dans le cadre d’une série d’articles proposés par l’institution. Retrouvez les contenus de la saison 2025-2026 dans notre dossier dédié et dans le PDF du magazine.

Tim Yip est un passeur, un archéologue des rêves. Son œuvre prolifique vagabonde. Du cinéma à l’opéra et à la danse, de la photographie à l’installation. Elle dessine les contours d’un « nouvel orientalisme ». Il ne s’agit pas d’un folklore flirtant avec l’exotisme, mais d’une quête sensible pour capter l’âme d’une culture et la projeter dans un langage universel. Son travail, d’une profondeur rare, est un dialogue constant entre la chair et l’esprit, le tangible et le métaphysique.

Cette exploration des seuils, on la retrouve dans ses collaborations marquantes avec Akram Khan. En témoigne une Giselle minérale et déchirante, où les décors semblent danser. Le chorégraphe anglo-bengali a d’ailleurs créé avec Sidi Larbi Cherkaoui Zero Degrees (2005). La danse, entre heurt et étreinte fluide, y invente une langue commune où les corps se défient autant qu’ils se répondent.

Plasticien, Tim Yip a imaginé un alter ego sous forme d’une figure hyperréaliste : Lili. Cette présence silencieuse et voyageuse immuable favorise une méditation poétique sur l’identité, le temps et la mémoire. On la retrouve au détour d’expositions, films, lieux publics et jusqu’au festival artistique et communautaire Burning Man (Nevada). Elle pose notamment avec des anonymes et la styliste britannique Viviane Westwood. Une facette singulière d’un artiste total, un humaniste qui, inlassablement, sculpte matières et espaces, se jouant des frontières entre disciplines.

 expositions, lieux publics, festivals…   — © timyipstudio.com Tim Yip et Lili, sa créature hybride entre l’humain et l’androïde qui apparaît dans toutes les strates de son travail : expositions, lieux publics, festivals…   — © timyipstudio.com

Votre parcours est une traversée sans fin des disciplines, cultures et époques. 

Enfant déjà, j’aimais être « là », présent au cœur des choses, participer, dessinant tout le temps. À l’école, le dessin est venu naturellement. Mon frère était photographe à Hong Kong. Je l’ai suivi, j’ai appris, j’ai rencontré des photographes prenant goût à l’image. En parallèle, j’étudiais la photographie à l’Université polytechnique de Hong Kong. Très vite, j’ai compris n’avoir pas une logique « unique » : j’avance par porosités.

Au cinéma, vous débutez en collaborant en 1986 au film de John Woo, A Better Tomorrow (Le Syndicat du crime). 

Il s’agit de mon premier film comme directeur artistique. Une aventure fondatrice, un moment très particulier à Hong Kong, une phase d’accélération et de développement intense avant la rétrocession à la Chine continentale une décennie plus tard. Le film a déplacé les lignes – ce mélange d’action, de romantisme, de codes d’honneur… Il s’agissait de dignité, d’amitié, de loyauté, comme dans les récits des Trois Royaumes (2008) : on y parle toujours de relations entre frères d’armes. Le public l’a senti.

Dans vos séjours de Hong Kong, Taïwan à Pékin, que cherchiez-vous ?

En tant qu’enfant de Hong Kong, on a naturellement le regard tourné vers l’extérieur. J’aimais profondément la culture européenne, le cinéma, la Nouvelle Vague, cette aspiration à un cinéma-idée révolutionnaire dans les années 60. Mais je cherchais mon identité. Je me plongeais dans la culture traditionnelle chinoise, ce qui n’était pas simple à saisir. J’ai beaucoup circulé entre Hong Kong, Taïwan et la Chine continentale. À Taïwan, notamment, j’ai travaillé avec des artistes passionnants ; ce déplacement m’a formé. Sept ans à observer la manière dont une émotion circule, comment un vêtement peut la porter, la prolonger, la retenir. Aujourd’hui encore, en ballet, je comprends mieux pourquoi tel mouvement appelle telle coupe.

Comment l’œil du photographe – cadrage, lumière, instant – imprègne-t-il scénographies et costumes ? 

La photographie est ma compagne et ma première formation. Elle m’apprend à regarder à distance et à disparaître si nécessaire. Je passe du dedans au dehors, étant toujours dans ce va-et-vient. Regarder à l’intérieur, regarder à l’extérieur. Parfois je m’efface, parfois je me montre. Quand je change de médium, j’accepte d’oublier ce que je sais : assistant quand il le faut, metteur en scène quand le langage l’exige. J’essaie ceci, puis cela, j’aime défier et tester mes limites. Je n’avance jamais en ligne droite, mais par multiples : jamais une seule idée, pas de concept figé – une impulsion.

Vos décors et costumes pour le blockbuster Tigre et Dragon d’Ang Lee sont salués par l’Oscar de la meilleure direction artistique. Vous avez parlé alors de « nouvel orientalisme ». Qu’entendez-vous par là ? 

Cela remonte à l’enfance : je collectionnais des images de l’Opéra de Pékin. Il existe la poétique tragique d’un Shakespeare. La poésie chinoise, elle, suppose de s’effacer, se dissoudre pour sentir l’espace – parfois devenir l’espace, voyant ce qui vous advient. Dans Tigre et Dragon, l’émotion humaine atteint ce seuil-là. Ce n’est ni une reconstitution archéologique ni une exotisation. C’est une essence poétique réinventée.

Que représente Lili, cette créature hybride entre l’humain et l’androïde que vous avez créée ? 

Depuis dix-huit à travers le monde, Lili crée le « temps zéro » car elle ne vieillit pas, ne change jamais d’âge, qui est invariablement un état d’environ seize ans. Elle transcende le temps et l’espace dans les limbes. Partout où Lili apparaît (expositions, lieux publics, festival Burning Man…), le temps se dérègle, pas au sens d’un effet, mais d’une coïncidence : tous les instants se superposent. Je peux l’imaginer sous d’autres formes, parfois abstraites, dans le futur. Avec elle, les lieux se rassemblent. Elle m’aide à penser l’existant et le non-existant dans le même geste. En chinois classique, en philosophie et dans la pensée taoïste, il y a un mot central qui exprime simultanément l’existant et le non-existant et les réunit.

Lili crée le «temps zéro» car elle ne vieillit pas, ne change jamais d’âge, qui est invariablement un état d’environ seize ans

Votre Lohengrin de Wagner au Metropolitan Opera (2023), mis en scène par François Girard, remplaçait le médiéval romantique par un monde post-apocalyptique et abstrait. 

Nous voulions parler d’un monde d’après-guerre sans soleil, en abri, un bunker. Identités mouvantes, centre introuvable. Une entité surgit et leur impose un choix rude et difficile. Pas d’illustration : une forme qui porte le sens. Ne souhaitant pas passer par le processus du langage, j’ai suivi la musique. Chaque chœur a sa couleur ; à chaque entrée, tout l’ensemble se recompose chromatiquement, jouant sur des oppositions visuelles dans les costumes. C’est simple et très triste, presque physiquement.

Est-ce l’aboutissement de votre idée du costume chorégraphié ? 

Oui. Montrez juste un petit-déjeuner. Voyez un riche, un pauvre, un enfant, un chien le manger, et vous contemplez déjà une dramaturgie. Inutile d’appuyer ou de raconter une histoire puisqu’il est possible de ressentir tant de choses en soi. L’économie des signes peut être singulièrement puissante.

Vous avez aussi oeuvré pour la cérémonie de clôture des JO de Pékin de 2008, orchestrée par le cinaéste Zhang Yimou. 

La cérémonie oblige à une clarté presque héraldique. Les uniformes ont leur grammaire, souvent datée. J’essaie d’introduire une perception nouvelle sans trahir la lisibilité, de donner tenue et puissance à des corps très différents. C’est une tension, mais fertile.

Vous avez des affinités avec des chorégraphes comme Sidi Larbi Cherkaoui ou Akram Khan, où l’on ressent parfois des fils invisibles qui animent le corps dans leurs pièces. 

Je regarde l’intérieur du mouvement. Chez Sidi Larbi, je sens une politique du sensible : l’attention aux systèmes, aux liens. Nous avons imaginé une scène double, un décor en deux parties et espaces. Devant un mur, il y a une fête élaborée. Derrière, se déploie la guerre avec ses événements terribles. Deux mondes coexistent ainsi et se fissurent. Les costumes marquent précisément le changement entre ces univers. Avec Akram, c’est une cuisine précise : chaque pièce est un nouveau moment, il faut trouver le point juste entre l’armature occidentale (logique, symbolique explicite) et l’esprit oriental (le souffle, l’attente, l’adresse). Rien n’est simple, tout est exact.

Tim Yip a signé les costumes et la scénographie de nombreux spectacles, comme ce Sacre du Printemps de la chorégraphe et danseuse chinoise Yang Liping, en 2018. — ©  timyipstudio.com Tim Yip a signé les costumes et la scénographie de nombreux spectacles, comme ce Sacre du Printemps de la chorégraphe et danseuse chinoise Yang Liping, en 2018. — ©  timyipstudio.com

À propos de Bal impérial, le directeur du Ballet du Grand Théâtre évoque la blessure sociale et la mémoire impériale… 

Le langage rate toujours quelque chose ; il organise, il coupe. On parle, on croit se comprendre, on se perd. Sur scène, je reviens au sensible – formes simples, mais exactes – pour que la blessure soit perçue sans surlignage : une coupe qui gêne, une matière qui pèse, un mur qui penche.

Pour ce ballet, vous évoquez l’omniprésence de la guerre, des missions, des corps contraints. 

J’ai imaginé un peuple en uniforme et, à l’opposé, des silhouettes qui affichent leur aisance sans limites. Le costume y devient géopolitique : à qui obéis-tu ? De quel côté tombes-tu ?

Et la musique ? Johann Strauss, ses valses que l’on croit légères, mais traversées de mélancolie et d’ironie… 

La musique, notamment de bal, impose une architecture de mouvements. On peut dialoguer avec elle ou la contrarier. J’aime la contrainte : elle affine. Le tout est d’être d’une précision absolue, sans se laisser enfermer.

Comment voyez-vous votre travail ? 

J’ai la conviction que nous ne venons pas uniquement « de la Terre ». Nous sommes des agencements d’énergies. L’histoire cherche à réduire l’excès en formes suivables, mais cela crée un écart. Mon travail consiste à réouvrir cet espace, là où l’instant se multiplie.

Un costume dessiné par Tim Yip pour The Tempest, une performance de Wu Hsing-kuo.   — © timyipstudio.com Un costume dessiné par Tim Yip pour The Tempest, une performance de Wu Hsing-kuo.   — © timyipstudio.com

Quelle constante traverse votre œuvre, l’essence de votre geste ? 

Aller au-delà du réel. Penser le temps plus que l’événement. Une chaise me ramène à l’arbre, à la forêt, aux chants qu’elle a portés. J’essaie de faire passer cela par la poésie, puis de le réinjecter dans la forme. Rester curieux, chaque seconde. Revenir au point zéro quand tout se brouille.


Bertrand Tappolet est journaliste et critique culturel depuis quarante ans, il a publié plus de 7000 articles, portraits et entretiens sur une large palette d’expressions artistiques : arts vivants – danse, théâtre, opéra, performance, musique –, photographie, cinéma, séries TV et littérature.

Né en 1967 à Hong Kong, Tim Yip voit son travail d’artiste visuel, décorateur et costumier salué par l’Oscar de la direction artistique et un BAFTA pour les costumes pour Tigre et Dragon d’Ang Lee. Son « nouvel orientalisme », fusion de traditions et de contemporanéité, rêve éveillé et investigation sur nos identités s’approfondit dans Les Trois Royaumes signé John Woo (2008). Il a collaboré à 35 films et plusieurs opéras. Côté danse, son regard chorégraphie l’espace et sculpte les costumes notamment pour Akram Khan – Desh, Giselle, Until the Lions, Chotto Desh. Au théâtre, il a travaillé avec Robert Wilson, Zhang Yimou, Stan Lai et Yang Liping, entre autres. Comme metteur en scène, il a signé les pièces Storm in Emptiness et Love in a Fallen City, qui allient vidéo et art scénique dans une forme qu’il nomme « théâtre total ».


Bal impérial
du 19 novembre au au 25 novembre 2025
gtg.ch/saison-25-26/bal-imperial-bolero

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