Une page se tourne à Cap Canaveral. Alors que la fusée Delta IV Heavy a tiré sa révérence l’an dernier, sa rampe de lancement légendaire va désormais être entièrement réaménagée pour accueillir le mastodonte de SpaceX, Starship. Une reconversion stratégique qui consacre la domination de l’entreprise d’Elon Musk dans le secteur spatial américain – au détriment de ses concurrents.
La fin d’une ère
Il fut un temps où le complexe de lancement 37 (SLC-37), sur la mythique Space Coast en Floride, symbolisait la puissance technologique américaine. Construit dans les années 1960 pour les besoins du programme Apollo, il avait vu s’élancer les fusées Saturn I, puis Saturn IB, avant de servir pendant deux décennies à la fusée Delta IV, développée par United Launch Alliance (ULA). Mais en mars 2024, la dernière Delta IV Heavy s’est envolée, marquant la fin d’une ère… et le début d’une autre.
Car cette semaine, le SLC-37 s’apprête à être démoli. Objectif : faire place nette pour Starship, la mégafusée réutilisable de SpaceX. Le ministère de l’Air Force a donné son feu vert au projet de reconversion, estimant qu’il n’avait pas d’impact significatif sur la concurrence. Une décision loin d’être anodine dans une industrie de plus en plus dominée par le géant californien.
Un pas de tir mythique pour une fusée d’un nouveau genre
La reconversion du SLC-37 marque un déplacement géographique majeur pour le programme Starship. Jusqu’à présent, les prototypes étaient testés exclusivement depuis Starbase, au sud du Texas. Mais SpaceX voit grand : en récupérant ce pas de tir stratégique à Cap Canaveral, l’entreprise se rapproche du cœur battant de l’aérospatiale américaine.
Le plan ? Remplacer les anciennes infrastructures de Delta IV par deux tours d’intégration géantes de 180 mètres, capables d’assembler et de lancer le duo Starship + Super Heavy. Cette expansion permettra à SpaceX de multiplier les tirs orbitaux, notamment pour les missions lunaires d’Artemis (contrats conclus avec la NASA) ou les futurs vols commerciaux.
ULA out, SpaceX en orbite
Cette prise de contrôle du SLC-37 n’est pas seulement logistique : elle est hautement symbolique. Elle acte le déclin progressif de United Launch Alliance, un des derniers rivaux institutionnels de SpaceX. Tandis que la Delta IV Heavy est désormais hors service, son remplaçant – la fusée Vulcan – peine à rattraper son retard, malgré un vol inaugural réussi en janvier 2024. En attendant, SpaceX multiplie les records de cadence et de fiabilité avec sa Falcon 9 et prépare l’avenir avec Starship.
La conquête de la Space Coast, entre ambition technique et rivalités politiques
L’installation de Starship sur la Space Coast fait aussi grincer des dents. L’an dernier, Blue Origin avait demandé à la FAA de limiter les lancements de SpaceX depuis le site voisin du complexe 39A, craignant un trop grand empiétement sur les ressources partagées. Désormais, l’implantation de Starship au SLC-37 renforce encore la mainmise de SpaceX sur les infrastructures critiques du pays.
Et ce, malgré les tensions politiques croissantes entre Elon Musk et l’administration Biden. À la suite de différends publics et de commentaires controversés, la Maison Blanche a menacé d’annuler certains contrats fédéraux de SpaceX. Mais dans les faits, le gouvernement reste dépendant de l’entreprise : la Falcon 9 est la fusée la plus fiable du marché, et Crew Dragon est le seul vaisseau américain capable de transporter des astronautes vers la Station spatiale internationale.
Un avenir entièrement réutilisable
Avec le SLC-37 comme nouvelle base de lancement, SpaceX trace la voie vers un futur spatial radicalement différent: celui des fusées 100 % réutilisables, capables d’assurer plusieurs vols par semaine. Si la stratégie réussit, Starship pourrait réduire les coûts d’accès à l’espace de façon inédite, et bouleverser les équilibres économiques et politiques du secteur.
En récupérant les ruines de ses prédécesseurs, SpaceX ne fait pas que lancer des fusées. Elle prend possession de l’Histoire pour écrire la sienne.