On aime dire que l’humain a marché sur la Lune, envoyé des sondes aux confins du système solaire et cartographié la surface de Mars avec une précision folle. Mais qu’en est-il de notre propre planète ? Il se trouve qu’un territoire immense reste encore pratiquement vierge : les grands fonds marins. Et la proportion réellement explorée est si dérisoire qu’elle en devient vertigineuse : seulement 0,001 % des abysses a été observé visuellement par l’humain.
Une planète bleue encore largement inconnue
Les grands fonds marins désignent les zones situées à plus de 200 mètres de profondeur, ce qui représente environ 66 % de la surface de la Terre. Pourtant, une grande partie de cet espace reste totalement inexplorée. Bien sûr, des initiatives existent : le programme international Seabed 2030 s’est donné pour mission de cartographier l’intégralité du plancher océanique d’ici la fin de la décennie. Et il y a du progrès : en 2017, à peine 6 % des fonds avaient été cartographiés ; en 2023, on dépassait les 25 %.
Mais attention, cartographier ne signifie pas observer directement.
C’est ce que rappelle une étude publiée dans Science Advances début mai. En analysant 43 681 expéditions sous-marines menées par 14 pays, les chercheurs ont en effet estimé que la surface des fonds réellement observée par des caméras ou des instruments est comprise entre 2 130 et 3 823 km². Soit 0,0001 % à 0,001 % de l’ensemble des grands fonds. Un grain de sable à l’échelle planétaire.
Un biais géographique criant
Autre constat inquiétant : la répartition géographique de ces observations est profondément inégale. La majorité des expéditions se concentre dans les zones économiques exclusives (ZEE) de quelques pays privilégiés — en tête, les États-Unis, le Japon et la Nouvelle-Zélande, avec la France et l’Allemagne en renfort. Ensemble, ces cinq pays représentent plus de 97 % des explorations.
Conséquence : notre connaissance des profondeurs est non seulement très limitée, mais profondément biaisée. L’immense majorité des reliefs, écosystèmes ou espèces potentielles situés dans les abysses des autres régions du globe restent, littéralement, dans l’ombre.

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Crédits : :AndrisBarbans/istockPourquoi explorer les abysses ?
On pourrait se demander : pourquoi s’en soucier, si ces zones sont si éloignées et inaccessibles ? La réponse est simple : parce qu’elles sont essentielles. Les grands fonds marins jouent un rôle-clé dans la régulation du climat, dans le cycle de l’oxygène, dans la circulation océanique, et sont des réservoirs de biodiversité méconnue. Certaines espèces qui y vivent ont déjà fourni des molécules à potentiel médical. Et d’autres pourraient révolutionner les traitements de demain.
Cartographier les fonds permet aussi de mieux prévenir les risques, en aidant par exemple les navires à éviter des monts sous-marins inconnus, ou en améliorant la précision des modèles de courants océaniques et de marées, cruciaux pour anticiper les effets du changement climatique.
Un chantier titanesque… sauf si l’on change d’échelle
L’un des auteurs de l’étude, l’explorateur Victor Vescovo, explique qu’au rythme actuel — environ 3 km² observés par an — il faudrait plus de 100 000 ans pour visualiser l’ensemble du plancher océanique. Une tâche titanesque… sauf à changer complètement d’approche.
Selon les chercheurs, l’automatisation est la clé. Grâce à des flottes de robots autonomes ou semi-autonomes, les observations pourraient devenir plus rapides, plus sûres et bien moins coûteuses. Ce serait un investissement dans un bien commun mondial : notre connaissance collective de la planète.