Et si l’on pouvait observer l’univers tel qu’il était… il y a plus de 13 milliards d’années ? C’est précisément ce qu’une équipe d’astrophysiciens vient de réussir, grâce à un télescope terrestre perché dans les Andes chiliennes.Pour la première fois depuis le sol, des chercheurs ont mesuré l’empreinte laissée par les premières étoiles sur le rayonnement fossile du Big Bang — un exploit que l’on croyait jusqu’ici réservé aux satellites.
CLASS, le télescope qui regarde plus loin que l’horizon
Niché à plus de 5 000 mètres d’altitude, le télescope CLASS (Cosmology Large Angular Scale Surveyor) scrute le ciel depuis les hauteurs du désert d’Atacama. Sa mission : détecter les infimes variations dans le rayonnement micro-onde fossile de l’univers, plus connu sous le nom de fond diffus cosmologique. Ce rayonnement est le vestige de la toute première lumière émise après le Big Bang, un peu moins de 400 000 ans après cet événement fondateur.
Or, cette lumière a été modifiée plus tard dans l’histoire de l’univers — notamment lors de l’Aube cosmique, une période encore largement mystérieuse, où les premières étoiles se sont formées. C’est cette période-charnière que CLASS a réussi à sonder, en captant un signal faible mais significatif : la polarisation de cette lumière ancienne, révélatrice d’un univers en pleine transformation.
L’univers enfant vu à travers un « brouillard d’électrons »
Revenons un instant sur l’histoire cosmique. Juste après le Big Bang, l’univers était chaud, dense, et surtout opaque. Les électrons libres empêchaient toute lumière de circuler. Puis, en se refroidissant, les électrons se sont combinés avec les protons pour former des atomes d’hydrogène : c’est la recombinaison. À ce moment-là, la lumière a pu se propager librement. Ce rayonnement — l’un des plus anciens que nous puissions observer — est le fond diffus cosmologique.
Mais ce calme apparent a été bouleversé quelques centaines de millions d’années plus tard. Les premières étoiles se sont allumées, inondant l’univers de leur énergie. Cette lumière stellaire a réionisé l’hydrogène neutre, recréant temporairement un environnement de particules libres. En interagissant avec ce gaz ionisé, la lumière fossile a été déviée, diffusée, polarisée.
C’est cette polarisation, extraordinairement faible, que les chercheurs de Johns Hopkins ont réussi à mesurer depuis la Terre.
Une prouesse rendue longtemps impossible
Observer ce signal depuis notre planète était considéré comme presque impossible. D’abord à cause de sa faiblesse intrinsèque — il est un million de fois plus ténu que les signaux radio que nous émettons au quotidien. Ensuite, parce que l’atmosphère terrestre et les émissions humaines (radars, téléphonie, satellites…) génèrent un bruit de fond qui masque les précieuses micro-ondes venues du cosmos.
Jusqu’ici, seuls des télescopes spatiaux comme WMAP (NASA) ou Planck (ESA) étaient parvenus à détecter ces signaux. Mais les progrès des instruments, combinés à une implantation dans l’un des lieux les plus secs et isolés du monde, ont permis à CLASS de briser ce plafond technologique.

Deniz Valle et Jullianna Couto
Polarisation : le code secret de l’univers primitif
Le signal mesuré est celui de la polarisation E, une empreinte laissée lorsque la lumière interagit avec un milieu ionisé. C’est comme si l’univers nous envoyait un reflet affaibli de ses jeunes années — une lumière qui a rebondi sur les premières étoiles et le gaz qu’elles ont ionisé.
En recoupant les données CLASS avec celles de Planck et WMAP, les chercheurs ont pu confirmer l’authenticité de ce signal. Résultat : une carte plus précise de l’univers au moment de sa « réionisation », entre 500 millions et 1 milliard d’années après le Big Bang.
Et maintenant ?
Ces nouvelles mesures permettent d’affiner notre compréhension du cosmos primitif, mais elles ouvrent surtout la voie à d’autres grandes questions : comment les premières structures se sont-elles formées ? Quel rôle ont joué les neutrinos, ces particules fantomatiques ? Et surtout : que nous disent ces observations sur l’énigmatique matière noire ?
Pour Tobias Marriage, chef du projet, c’est un tournant : « On pensait que c’était impossible depuis le sol. Ce que nous avons accompli avec CLASS ouvre une nouvelle ère dans l’observation cosmique. »
En résumé : L’univers nous parle encore — il suffit d’avoir les bons instruments pour l’écouter. Grâce au télescope CLASS, c’est depuis la Terre que nous avons perçu l’écho affaibli des premières étoiles. Et cette lumière d’un autre temps n’a pas fini de révéler ses secrets.
Les détails de l’étude sont publiés dans The Astrophysical Journal.