Dans un monde où les menaces se multiplient et où les guerres se jouent désormais autant dans le cyberespace que sur les champs de bataille, l’Europe prépare une riposte technologique d’envergure. Baptisé MARTE (Main ARmoured Tank of Europe), un projet ambitieux vient de franchir une étape décisive : concevoir le tout premier char de combat principal de cinquième génération développé en Europe.

Financé à hauteur de 20 millions d’euros par le Fonds européen de défense (FED), MARTE ne se limite pas à la fabrication d’un nouveau blindé. Il incarne une vision stratégique : reprendre le contrôle industriel et technologique de l’armement terrestre lourd, un domaine longtemps dominé par des plateformes vieillissantes issues de la guerre froide ou par des fournisseurs extérieurs, notamment américains.

Une ambition continentale

Piloté par la coentreprise MARTE ARGE GbR, qui réunit les géants allemands KNDS Deutschland (maison mère du célèbre Leopard) et Rheinmetall Landsysteme, le projet fédère un consortium de 51 acteurs industriels et scientifiques issus de 12 pays européens, dont la Norvège.

À leurs côtés, des poids lourds de la défense (Leonardo, SAAB, Indra), des entreprises de taille moyenne, des PME innovantes et des centres de recherche. Tous partagent un objectif commun : bâtir une plateforme blindée modulaire, évolutive, hautement numérisée et interopérable, capable d’opérer dans des environnements de guerre de haute intensité, multi-domaines et connectés.

Un char pensé pour les guerres de demain

Loin du mythe du blindé brut et massif, MARTE repose sur une architecture numérique ouverte, véritable colonne vertébrale du système. Celle-ci permettra la fusion de données en temps réel, l’utilisation de l’intelligence artificielle pour l’aide à la décision et la coordination fluide entre les unités terrestres, aériennes et spatiales.

Le char sera ainsi capable d’évoluer au sein de réseaux tactiques complexes, en se connectant à des systèmes de gestion de combat compatibles avec les normes de l’OTAN. Il pourra également intégrer dans l’avenir des fonctions semi-autonomes : reconnaissance automatique de cibles, hiérarchisation des menaces ou encore coordination avec des drones ou des véhicules sans pilote.

Char de combat principal Panther KF-51 (image représentative). Crédits : Rheinmetal

Mobilité hybride, furtivité renforcée

Autre révolution : la motorisation. MARTE misera sur une propulsion hybride-électrique, combinant puissance, endurance et furtivité. Cette technologie permettra de réduire fortement les signatures thermiques et acoustiques, un avantage déterminant face à la surveillance par drones ou capteurs infrarouges.

Cette architecture hybride offrira aussi un meilleur contrôle du couple moteur, une consommation optimisée et la capacité d’alimenter des systèmes embarqués énergivores : capteurs multispectraux, systèmes d’armes à énergie dirigée, ou dispositifs électroniques de guerre.

Survivabilité et adaptabilité

Sur le plan défensif, MARTE ne fera aucun compromis. Le blindé intégrera un système de protection multicouche : blindage passif composite, systèmes de protection active capables d’intercepter des obus ou missiles en vol, capteurs radar, optiques et acoustiques pour anticiper les menaces, le tout interconnecté et piloté par IA.

Ce bouclier intelligent sera également modulaire, adapté à chaque théâtre d’opération, que ce soit en milieu urbain, désertique ou montagneux. Le char embarquera aussi des capacités de gestion de signature thermique et des dispositifs de lutte anti-drones, deux aspects devenus critiques dans les conflits asymétriques récents.

Une réponse politique autant que militaire

Le projet MARTE ne se limite pas à un saut technologique. Il constitue une affirmation politique forte : celle d’une Europe décidée à renforcer sa souveraineté technologique et à réduire sa dépendance à l’égard de matériels extra-européens, souvent inadaptés aux doctrines et contraintes propres aux forces armées du continent.

Onze ministères européens de la Défense — dont ceux de l’Allemagne, de l’Italie, des Pays-Bas, de la Suède ou encore de la Norvège — soutiennent le projet et figurent parmi les futurs clients potentiels de ce système d’armes nouvelle génération.

Bien qu’il soit indépendant du programme franco-allemand MGCS, actuellement en difficulté, MARTE pourrait en devenir une alternative réaliste ou un héritier technologique, en proposant une plateforme ouverte et adaptable.

Vers un écosystème blindé européen

Au-delà du char lui-même, les technologies développées dans MARTE pourraient servir de socle à d’autres programmes, dans les domaines des véhicules autonomes terrestres, du commandement et du contrôle (C4ISR), ou de la guerre électronique.

En somme, MARTE ne dessine pas seulement les contours du prochain char de combat européen. Il pourrait bien être le catalyseur d’une nouvelle ère de défense terrestre intégrée, numérique et souveraine pour l’Europe.