Pendant les toutes premières microsecondes après le Big Bang, l’univers n’avait encore ni étoiles, ni galaxies, ni même atomes. Il baignait dans une soupe infernale de quarks et de gluons, à des températures si extrêmes que la matière telle que nous la connaissons ne pouvait exister. Pour la première fois, des chercheurs sont parvenus à modéliser avec précision cet état de la matière primordiale, révélant un pan fondamental — et longtemps insaisissable — de l’histoire du cosmos.
Un univers en fusion : naissance du plasma quark-gluon
Revenons 13,8 milliards d’années en arrière. Immédiatement après le Big Bang, l’univers n’était qu’une bulle d’énergie surchauffée. Les particules élémentaires n’étaient pas encore liées entre elles : les quarks (constituants des protons et neutrons) et les gluons (les « colleurs » de quarks) formaient un plasma dense et chaud, qu’on appelle plasma quark-gluon.
Ce plasma est considéré comme l’état de matière le plus chaud ayant jamais existé dans l’univers. Il a duré quelques millionièmes de seconde seulement, avant de se « solidifier » pour donner naissance aux premiers protons et neutrons. Mais ce court épisode a laissé une empreinte décisive dans la structuration de l’univers.
Un mur mathématique : la force forte, l’incontrôlable de la physique
Pour comprendre le comportement de ce plasma, les physiciens doivent modéliser la force nucléaire forte, celle qui lie les quarks entre eux. C’est là que les choses se compliquent : cette force est extrêmement intense et ne se laisse pas apprivoiser facilement par les équations classiques. Les outils mathématiques habituellement utilisés en physique quantique, comme la théorie des perturbations, échouent totalement ici.
Pourquoi ? Parce que dans les conditions du plasma quark-gluon, la force forte ne faiblit jamais. Elle reste aussi puissante à courte distance qu’à longue distance, rendant toute tentative de calcul analytique extrêmement instable. C’est comme essayer de prédire la météo d’une tornade avec une boussole et une écharpe : totalement inadapté.
Une percée informatique : la QCD sur réseau combinée à la méthode de Monte Carlo
Pour contourner ce problème, une équipe de chercheurs italiens a utilisé une technique de simulation numérique avancée : la chromodynamique quantique sur réseau (ou QCD sur réseau). L’idée est de représenter l’espace-temps sous forme de grille à quatre dimensions, sur laquelle les interactions des particules sont calculées point par point.
Mais cette équipe est allée plus loin. Elle a combiné la QCD sur réseau à la méthode de Monte Carlo, un algorithme probabiliste qui utilise des échantillonnages aléatoires pour modéliser des systèmes complexes. Ce duo d’approches a permis aux scientifiques d’explorer un univers simulé rempli de trois types de quarks très légers, dans des conditions proches de celles de l’univers primordial.
Ils ont simulé des températures allant jusqu’à 165 GeV (soit plus de 2 millions de milliards de degrés Kelvin), proches de la transition électrofaible, le moment où les particules élémentaires acquièrent leur masse.

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Crédits : Naeblys/istockUne équation d’état pour l’aube du cosmos
Le résultat de cette prouesse est la meilleure équation d’état jamais obtenue pour le plasma quark-gluon. Cette équation relie les grandeurs thermodynamiques fondamentales : la température, la pression, la densité d’énergie et l’entropie de ce plasma.
Elle permet de reconstituer la dynamique exacte du plasma dans les toutes premières microsecondes après le Big Bang, moment où les premières structures de la matière ont commencé à émerger.
Et la surprise ne s’est pas fait attendre : même à ces températures extrêmes, les quarks et gluons n’étaient pas libres. L’interaction forte restait dominante, bien plus tôt qu’on ne le croyait. L’idée que ces particules se comportaient comme un gaz libre et non lié à haute température semble désormais erronée.
Pourquoi c’est un tournant majeur
Ces résultats ont des implications profondes. En affinant notre compréhension du plasma quark-gluon, les chercheurs peuvent :
mieux modéliser la naissance de la matière,
revoir les scénarios de formation des particules,
et préciser l’évolution des forces fondamentales dans les premières secondes de l’univers.
L’étude confirme également le potentiel des méthodes de calcul haute performance comme la QCD sur réseau, alliées à des techniques statistiques. Ce sont ces outils qui permettront demain de percer d’autres mystères de la physique fondamentale, comme l’unification des forces ou les premiers instants après l’inflation cosmique.
Et la suite ?
L’équipe italienne souligne que les résultats actuels ne sont qu’un début. Avec plus de ressources de calcul, ils pourront explorer des configurations plus complexes, intégrer des quarks plus lourds et même simuler des univers en expansion.
Mais une chose est sûre : comprendre les toutes premières microsecondes de l’univers, ce n’est pas qu’un exercice théorique. C’est remonter à la racine même de tout ce qui existe — y compris nous.