Regarder le Soleil en face est dangereux — sauf quand on le fait à travers les yeux d’un vaisseau spatial spécialement conçu pour cela. C’est précisément la mission de Solar Orbiter, une sonde européenne qui a récemment accompli un exploit sans précédent : révéler les premières images jamais prises du pôle sud de notre étoile. Une région restée, jusqu’ici, invisible à l’humanité. Et ce qu’elle y a trouvé pourrait bien transformer notre compréhension du climat spatial — et de notre propre futur technologique.
Une orbite hors du commun
Lancé en 2020 par l’Agence spatiale européenne (ESA) en collaboration avec la NASA, Solar Orbiter a progressivement incliné son orbite pour sortir du plan équatorial du Soleil. C’est un exploit technique en soi : la plupart des planètes, dont la Terre, gravitent autour du Soleil dans un plan relativement plat appelé l’écliptique. Pour observer les pôles, il faut donc prendre de la hauteur.
Le 23 mars 2025, après plusieurs assistances gravitationnelles de Vénus, la sonde a atteint une inclinaison de 17°, lui permettant de “regarder sous” le Soleil. Et ce qu’elle a vu a de quoi surprendre.
Des images qui racontent une révolution
Les nouvelles images dévoilées le 11 juin sont un mélange saisissant de couleurs, capturées à différentes longueurs d’onde visibles et ultraviolettes. Grâce à plusieurs instruments embarqués — dont le Polarimetric and Helioseismic Imager (PHI) — Solar Orbiter a pu dresser une carte magnétique du pôle sud solaire. Et les résultats sont étonnants.
Contrairement aux aimants terrestres, le pôle sud du Soleil ne présente pas une polarité homogène. On y trouve à la fois des zones de polarité nord et sud, comme si le champ magnétique s’y déchirait, s’inversait, se recomposait. Une véritable “crise magnétique” est en cours.

Une inversion en marche
Selon les scientifiques de l’ESA, ces perturbations sont les signes avant-coureurs d’un phénomène bien connu des astronomes : l’inversion du champ magnétique solaire, qui se produit tous les 11 ans environ. C’est le cœur du cycle solaire, une alternance entre maximum et minimum d’activité.
Lors de ces phases de maximum solaire, comme celle que nous traversons actuellement, le Soleil devient plus agité : éruptions solaires, tempêtes magnétiques, éjections de masse coronale. Autant de phénomènes qui peuvent perturber les satellites, les GPS, et même les réseaux électriques sur Terre.
L’inversion marque le sommet de cette activité. Ensuite, le Soleil entre dans une phase plus calme, appelée minimum solaire, jusqu’au prochain cycle.

Pourquoi c’est crucial ?
Comprendre ce qui se passe aux pôles du Soleil, c’est la clé pour anticiper et modéliser son comportement global. Le vent solaire — ce flot de particules chargées qui s’échappe en permanence du Soleil — prend naissance en grande partie dans ces régions polaires. C’est lui qui alimente les aurores boréales, mais aussi les orages géomagnétiques qui menacent nos technologies.
En étudiant les panaches de plasma, les flux de particules et les anomalies magnétiques dans ces régions encore mal connues, les scientifiques espèrent mieux prédire la météo spatiale, un enjeu stratégique dans notre monde ultra-connecté.
Et ce n’est qu’un début
La mission de Solar Orbiter ne fait que commencer. D’ici décembre 2026, la sonde atteindra une inclinaison de 24°, puis 33° en 2029. Cela permettra de capter des vues encore plus directes et détaillées des pôles solaires. Chaque survol apportera de nouvelles données, nourrissant les modèles du climat spatial, mais aussi les théories sur le fonctionnement profond de notre étoile.
Comme l’a déclaré Daniel Müller, scientifique du projet à l’ESA :
« Ce n’est que la première étape de l’ascension de Solar Orbiter vers le paradis. »
Une ère nouvelle pour l’astronomie solaire
Avec ces premières images du pôle sud solaire, l’ESA vient d’ouvrir une nouvelle ère dans l’étude du Soleil. Ce qui était autrefois un territoire invisible, presque mythique pour les astronomes, devient peu à peu un laboratoire naturel à ciel ouvert, accessible à la science.
Et si le Soleil garde encore bien des secrets, il ne pourra plus longtemps dissimuler les dynamiques complexes de ses pôles. Grâce à Solar Orbiter, notre étoile commence à se dévoiler sous un jour inédit — et ce n’est qu’une question de temps avant que nous comprenions pleinement les rouages de sa mécanique céleste.