Ce n’est pas une fiction ésotérique, mais bien une découverte scientifique : Aspergillus flavus, un champignon tristement célèbre pour avoir été soupçonné de semer la mort après l’ouverture de la tombe de Toutânkhamon, pourrait désormais devenir une source inattendue de traitements révolutionnaires contre la leucémie. Une histoire fascinante où se croisent archéologie, biologie moléculaire et médecine de demain.
La malédiction de la momie… ou un tueur microscopique ?
Quand Howard Carter découvrit la sépulture de Toutânkhamon en 1922, une série de décès parmi les membres de l’expédition – et certains de leurs mécènes – éveilla l’imaginaire collectif. Le mythe de la « malédiction des pharaons » était né. Pendant des décennies, les scientifiques ont débattu : simple coïncidence ? Psychose collective ? Ou réelle menace biologique ?
Un demi-siècle plus tard, une autre affaire a ravivé les soupçons : après l’ouverture du tombeau de Casimir IV en Pologne, 10 des 12 scientifiques présents sont décédés en quelques semaines. L’explication rationnelle est alors apparue : un champignon, Aspergillus flavus, pourrait être à l’origine de ces morts, ses spores provoquant de graves infections pulmonaires chez les personnes exposées dans des lieux clos et poussiéreux.
Mais aujourd’hui, ce même organisme microscopique pourrait bien se racheter auprès de l’humanité. Non pas en se faisant oublier, mais en devenant une arme précieuse contre certains cancers du sang.
Une pharmacie cachée dans les spores
Les champignons et les bactéries sont de véritables usines chimiques naturelles. Ils produisent des peptides, ces petites chaînes d’acides aminés, soit via des ribosomes (les « traducteurs » classiques des cellules), soit via des enzymes spécialisées appelées synthétases non ribosomiques.
Certains de ces peptides sont ensuite modifiés par la cellule pour devenir des RiPP – des peptides ribosomiques modifiés après traduction. Longtemps, la recherche s’est concentrée sur les RiPP produits par les bactéries. Ceux des champignons, eux, sont restés dans l’ombre. Un oubli que les travaux récents d’une équipe internationale menée par le Dr Qiuyue Nie et la Dr Sherry Gao sont en train de réparer.
Leur étude a passé au crible douze souches de champignons du genre Aspergillus, et c’est A. flavus qui s’est révélé le plus prometteur. Les chercheurs y ont découvert une protéine responsable de la production de nouveaux RiPPs, qui ont ensuite été purifiés et analysés.
Une nouvelle classe de molécules tueuses de cellules leucémiques
Les chercheurs ont ainsi mis en évidence une structure moléculaire inédite, constituée d’anneaux imbriqués, jamais observés auparavant dans la nature. Ils ont baptisé cette nouvelle famille de molécules aspérigimycines.
Parmi les quatre aspérigimycines purifiées, deux se sont montrées très efficaces contre les cellules leucémiques cultivées en laboratoire. Une autre, peu active seule, a démontré une synergie étonnante avec un lipide tiré de la gelée royale : ensemble, ils ont obtenu des résultats comparables à deux médicaments antileucémiques déjà approuvés par la FDA.
Bien sûr, ces tests ont été réalisés uniquement in vitro pour le moment. Il faudra encore évaluer leur toxicité, leur efficacité chez l’animal, puis chez l’humain avant d’envisager un traitement. Mais le potentiel est bien là.

Une clé moléculaire pour pénétrer dans les cellules
L’un des défis majeurs des peptides thérapeutiques est leur difficulté à franchir la membrane des cellules. Les chercheurs ont découvert que les aspérigimycines utilisent un gène appelé SLC46A3 pour s’introduire dans les cellules ciblées. Une stratégie astucieuse qui pourrait aussi profiter à d’autres traitements à base de peptides.
Ce mode d’entrée pourrait expliquer leur efficacité élevée – et représenter une piste pour surmonter un des grands obstacles de la chimiothérapie ciblée.
Un espoir ciblé – et donc réaliste
Les aspérigimycines testées n’ont pas montré d’effet sur d’autres types de cancer. Ce qui pourrait sembler décevant est en réalité plutôt rassurant. Les oncologues savent qu’un traitement « miracle » valable contre tous les cancers n’existe pas. Une molécule spécifique à un type de cellule cancéreuse a bien plus de chances de fonctionner sans provoquer d’effets secondaires massifs sur les cellules saines.
Ce que la nature a déjà inventé, la science le perfectionne
Il reste un obstacle de taille : la complexité de la synthèse chimique de ces molécules cycliques. Les chercheurs admettent qu’il sera peut-être plus simple de produire les aspérigimycines en cultivant des champignons, plutôt qu’en les fabriquant en laboratoire. L’image du biochimiste récoltant ses ingrédients dans une crypte humide n’est peut-être pas si farfelue.
Mais plus sérieusement, cette découverte montre une fois de plus que la nature a une longueur d’avance sur nous en matière de design moléculaire. Il ne tient qu’aux scientifiques de décrypter ses secrets, pour transformer d’anciens poisons… en traitements salvateurs.