Le célèbre « Homme-Dragon » découvert en Chine n’est pas une nouvelle espèce humaine, mais un ancien Dénisovien. Grâce à une prouesse génétique réalisée sur un fossile de 146 000 ans, les chercheurs révèlent que cette lignée mystérieuse était bien plus répandue qu’on ne le pensait.
Un crâne hors norme… et hors catégorie
En 1933, un ouvrier travaillant sur un chantier ferroviaire dans le nord-est de la Chine, sous occupation japonaise, découvre un crâne massif près de la rivière Long Jiang. Le fossile, longtemps caché, sera étudié bien plus tard par des chercheurs chinois qui, frappés par sa taille et ses caractéristiques singulières — orbites carrées, pommettes plates, dents énormes —, décident de le classer dans une nouvelle espèce : Homo longi, surnommée « Homme-Dragon ».
Daté à environ 146 000 ans, ce crâne semblait n’appartenir ni à l’Homo sapiens ni aux Néandertaliens. Une proposition audacieuse voyait même ce spécimen comme notre plus proche parent évolutif… jusqu’à aujourd’hui.
Une percée génétique inédite
Tout a changé grâce à une prouesse scientifique menée par des chercheurs de l’Académie chinoise des sciences et de l’Université GEO du Hebei. En utilisant des techniques de bioinformatique avancées, ils ont réussi à extraire de l’ADN mitochondrial… non pas du crâne ou d’une dent — trop dégradés — mais du calculus dentaire, c’est-à-dire la plaque minéralisée sur les dents.
Et la révélation est sans appel : Dragon Man n’est pas une nouvelle espèce, mais un membre de la lignée des Dénisoviens, ce groupe humain archaïque méconnu, cousin de l’Homo sapiens, et dont on a retrouvé jusqu’ici très peu de fossiles clairement identifiés.

Crédits : Fu et al., Cell, 2025
Les Dénisoviens : une présence bien plus vaste qu’on ne le pensait
Les Dénisoviens ont été découverts en 2010 dans la célèbre grotte de Denisova, en Sibérie, où une simple phalange avait révélé l’existence d’un lignage humain inconnu. Depuis, quelques restes très fragmentaires ont été identifiés, notamment sur le plateau tibétain et récemment dans le détroit de Taïwan.
Mais la découverte que Dragon Man est un Dénisovien bouleverse tout : cela prouve que ces hominines étaient présents dans une grande partie de l’Asie, y compris en Chine du Nord, pendant l’ère glaciaire. Et cela laisse penser que de nombreux autres fossiles, longtemps considérés comme « inclassables », pourraient en réalité appartenir à cette lignée.
C’est le cas, par exemple, du crâne de Dali (200 000 à 260 000 ans) et de celui de la grotte de Jinniushan (260 000 ans), également en Chine, qui présentent des similitudes frappantes avec Dragon Man.
L’ADN dénisovien dans nos veines
Même si les Dénisoviens ont disparu, leur héritage génétique perdure. Une partie importante des populations asiatiques actuelles — notamment en Asie du Sud-Est et en Océanie — porte des traces d’ADN dénisovien, signe de croisements multiples entre eux et les Homo sapiens.
Ces échanges génétiques n’ont pas seulement été fréquents, ils ont laissé une empreinte durable dans notre génome, qui influence encore certains traits physiologiques ou immunitaires chez les populations modernes.
Une pièce manquante du puzzle humain
Ce qui rend cette découverte si cruciale, c’est qu’elle réunit des branches de l’évolution humaine longtemps perçues comme isolées. Plutôt que d’imaginer les Dénisoviens comme un petit groupe relégué à la Sibérie, on commence à voir qu’ils étaient probablement l’un des groupes dominants d’Eurasie pendant des centaines de milliers d’années.
Et le plus fascinant : nous avons peut-être déjà de nombreux fossiles dénisoviens entre les mains, simplement mal classifiés faute de matériel génétique ou d’un cadre théorique adéquat.
Une nouvelle ère pour la paléogénétique
Ces nouvelles recherches, publiées dans les prestigieuses revues Science et Cell, ne sont pas qu’un simple changement d’étiquette pour un fossile. Elles ouvrent une nouvelle fenêtre sur notre passé, en montrant que des espèces humaines disparues comme les Dénisoviens étaient bien plus diversifiées, répandues, et peut-être influentes que ce que la science avait osé imaginer jusqu’à présent.
Alors que la génétique continue de repousser les limites du possible, ce n’est probablement que le début des surprises que nous réserve le passé de l’humanité.
Les deux nouvelles études ont été récemment publiées dans les revues Science et Cell.