La mort de la téléphonie fixe semble être annoncée. Trois des principales compagnies qui offrent ce service au Québec ont toutes enregistré une baisse importante de leur nombre d'abonnés ces dernières années. Aurons-nous affaire à une mort lente ou rapide? Tout dépendra de la vitesse à laquelle ces entreprises vont réussir à étendre leur réseau mobile et à améliorer sa fiabilité, croit une experte.

Jacob, un jeune du secondaire, hésite pendant de longues secondes lorsqu’on lui demande comment faire un appel avec un téléphone fixe. Son amie Maya, elle, baisse les bras avant même d’essayer. Je n’ai jamais utilisé ça, lance-t-elle.

Bell et Québecor (Vidéotron) ont vu leurs abonnements à la téléphonie sans fil augmenter entre 2019 et 2024. (photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Lysbertte Cerné

Ces adolescents rencontrés au parc sont représentatifs d’une génération qui a grandi avec un cellulaire. Nés au tournant de 2010, ils ne sont jamais servis d’un combiné téléphonique fixe et ils ne croient pas avoir besoin de le faire un jour.

Des adultes qui ont connu les belles années de cette technologie l'abandonnent aujourd’hui. Annie n’a pas touché à un téléphone traditionnel depuis cinq ans, Rachel depuis quatre ans. Pour ces deux personnes, l'idée de payer pour plusieurs lignes téléphoniques en même temps n'a aucun sens.

Le désintérêt général pour la téléphonie fixe s’observe depuis quelques années chez les grandes compagnies de télécommunications. Depuis 2019, Bell et Québecor (Vidéotron) ont perdu respectivement 32 % et 41 % de leurs abonnées à ce service. Chez Cogeco, la baisse est de 9 % depuis une acquisition en 2019.

Abonnements au service de téléphonie filaire chez Québecor (Vidéotron) de 2019 à 2024.

Photo : Radio-Canada / Guylain Côté

La domination du cellulaire

Cette tendance n’étonne pas du tout la professeure au département d’informatique de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), Halima Elbiaze. Ça ne me surprend pas vu l'introduction des téléphones mobiles qui offrent une meilleure flexibilité. Ça peut accommoder les gens quand ils se déplacent.

En 1876, lorsque le Canadien Alexander Graham Bell invente le téléphone classique, les besoins des consommateurs étaient loin d’être les mêmes. Pour ce qui est pour communiquer de la voix ou de la vidéo, du texte, la téléphonie fixe ne peut plus répondre à ce besoin.

Si la tendance se maintient, la ligne fixe pourrait disparaître d’ici les 10 prochaines années, croit Mme Elbiaze. Ça s'en vient, si on arrive à étendre la couverture même dans les régions lointaines.

Un service essentiel?

La ligne fixe reste encore très utilisée dans les entreprises et dans l’industrie de la sécurité. Aujourd'hui la plupart des systèmes d'alarme sont encore connectés avec les lignes fixes, explique la professeure à l’UQAM. La téléphonie fixe, c'est juste une petite fraction d'utilisation de ces infrastructures.

Partout au Canada, y compris en Mauricie et au Centre-du-Québec, beaucoup de communautés ne sont toujours pas desservies convenablement par le réseau cellulaire. La ligne fixe devient alors la seule option.

De nombreuses municipalités de la région n'ont pas accès à un service de téléphonie cellulaire stable et réclament une meilleure couverture.

Photo : Radio-Canada / Fanchon Aubry

La téléphonie fixe reste quand même plus fiable par rapport à la téléphonie mobile. On peut se retrouver dans des coins qui ne sont pas couverts, par exemple, dans les régions lointaines.

Plusieurs jeunes parents ont aussi confié à Radio-Canada s’être abonnés à ce service parce que leur enfant peut maintenant se garder seul et il doit avoir une façon d’appeler le 911 en cas d’urgence.

Une mouvance inquiétante

Bell et Vidéotron ont l’avantage d’être déjà bien positionnés sur le marché des services Internet et de téléphonie mobile. Ces compagnies réussissent donc à conserver une partie de leur clientèle en leur offrant des forfaits cellulaires.

Abonnements aux services de téléphonie résidentielle chez Bell de 2019 à 2024.

Photo : Radio-Canada / Guylain Côté

Bell reconnaît le phénomène et le décrit comme une substitution technologique en faveur des services sans fil et Internet, dans son plus récent rapport annuel.

En contrepartie, le géant canadien des télécommunications constate : une demande accrue pour les options vocales sans fil et basées sur IP, souvent dans le cadre de services groupés qui comprennent les services mobiles, Internet et de télévision, mentionne par écrit son gestionnaire principal aux relations avec les médias, David Marcille.

Abonnements au service de téléphonie filaire chez Cogeco de 2019 à 2024.

Photo : Radio-Canada / Guylain Côté

Chez Cogeco, les services sans fil sont peu développés et cela pourrait engendrer des conséquences importantes. La baisse du nombre d’abonnés à la ligne fixe : pourrait nuire grandement à ses activités, à sa situation financière, à ses occasions d’affaires et à ses résultats d’exploitation, peut-on lire dans son rapport annuel 2024.

Cogeco n'a pas souhaité réagir. Vidéotron n’a pas répondu aux questions de Radio-Canada.