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On a peut-être trouvé la plus naturaliste des cinéastes françaises. Avec L’Aventura, présenté à l’ACID à Cannes puis au Festival du nouveau cinéma mercredi et jeudi, Sophie Letourneur signe un film d’une limpidité rare, qui mélange à la fois documentaire et improvisations d’une précision horlogère. Deuxième volet d’une trilogie entamée en Sicile autour du couple, cet épisode s’installe en Sardaigne et déplie un voyage en famille : celui de Sophie et Jean-Phi et de leurs deux enfants — Raoul (3 ans) et Claudine (11 ans) — qui s’offrent un road trip fait d’embûches minuscules et universelles. Le scénario est mince sans être simpliste : hébergements douteux, chaleur, valises, repas à répéter, pertes de portefeuille, envies contraires et besoins du corps (manger, dormir, déféquer). Tout ce qui éreinte des vacances et tout ce qui, par fulgurances, en fait la grâce.
La trouvaille de Letourneur tient dans un double jeu, autofiction et mise en abyme. La cinéaste a enregistré ses vraies vacances puis remis ces dialogues aux interprètes, qui les rejouent à l’oreillette. L’enregistreur entre d’ailleurs dans le cadre dès l’ouverture : l’objet qui capte devient personnage. À trois moments, Claudine décide d’enregistrer le film du voyage et convoque chacun à raconter ce qui vient d’arriver. Le présent est déjà passé ; la famille s’observe, à rebours, comme des personnages de leur propre voyage. En creux, une réflexion sur le temps qui passe : on ne peut pas encapsuler le réel, seulement l’archiver, l’organiser, l’offrir en récit.
Visuellement, le film travaille en petite équipe, plans fixes et zooms assumés — on pense à Hong Sang-soo pour la respiration, à Rossellini pour le nerf documentaire. Les images Super 8 en fin de parcours, tirées d’archives familiales, font pont avec l’origine du geste : filmer pour retenir ce qui fuit. Un Prélude de Bach court parfois la bande-son, jamais envahissant ; il installe un décalage doux, un sourire mélancolique. « Aime la vie plus que sa logique », glisse un adage dans une scène : la ligne de conduite du film.
Autre parti saisissant : les enfants à l’écran. Letourneur parvient à ne pas les faire jouer. Raoul, ses crises et sa fatigue, semble capté plus que dirigé. Claudine est un personnage splendide : sagace, franche, consultée pour les décisions, toujours prête à corriger les adultes. En face, Philippe Katerine compose un Jean-Phi vaporeux et doux, lent à répondre, un peu amorphe et souvent pathétique ; cible occasionnelle des sarcasmes, mais la tendresse gagne toujours. Rien d’héroïque ici : pas de maquillage, visages fatigués, vêtements trop petits ou sales, corps moites. Juste des humains.
C’est souvent très drôle — malentendus, poésie involontaire des enfants, absurdité logistique. Une œuvre humaine et universelle où l’on cherche des plages introuvables et où l’on trouve surtout la proximité, la complicité, la joie d’être ensemble. À l’idée qu’« il ne se passe rien » dans L’Aventura, Letourneur rétorque qu’il se passe tout. Sa caméra prouve que l’ordinaire — ces « banalités » qu’on croit indignes d’un synopsis — contient, à la bonne distance, l’aventure elle-même. Ici, le « show don’t tell » se renverse : ce qui est raconté puis montré (ou l’inverse) produit une double exposition jubilatoire. L’Aventura est un film sur la vie quotidienne, mais surtout un film sur le temps qui passe.