Quand on pense à la téléportation, on imagine des scènes de science-fiction : des humains disparaissant dans un flash de lumière pour réapparaître à des kilomètres, voire des années-lumière de là. Pourtant, dans le monde de la physique quantique, la téléportation n’est plus un rêve d’écrivain. C’est une réalité scientifique – bien que très différente de nos fantasmes hollywoodiens.
Et une équipe de chercheurs de l’Université Northwestern, aux États-Unis, vient de franchir une étape décisive : ils ont réussi à téléporter un état quantique sur 29 kilomètres en utilisant l’Internet public, une première mondiale. Ce saut technologique pourrait ouvrir la voie à un internet quantique accessible via les infrastructures numériques actuelles.
L’intrication : une bizarrerie au cœur de la téléportation
Au cœur de cette prouesse se trouve un phénomène fondamental mais étrange de la mécanique quantique : l’intrication. Décrit dans les années 1930 par Einstein, qui le qualifiait d’ »action fantomatique à distance », ce phénomène relie deux particules entre elles de manière invisible. Modifiez l’une, et l’autre réagit instantanément, peu importe la distance qui les sépare.
La téléportation quantique repose sur ce lien. Lorsqu’un état — par exemple, la polarisation d’un photon — est transféré à une autre particule intriquée, l’original disparaît, et une réplique parfaite de ses propriétés réapparaît ailleurs. Aucun déplacement physique ne se produit, mais l’information est transmise avec une fidélité totale.
Une transmission quantique dans les conditions du réel
Jusqu’à présent, les expériences de téléportation quantique nécessitaient des canaux ultra-contrôlés : des fibres optiques isolées, sans le moindre trafic parasite. Car le signal intriqué est d’une extrême fragilité. Il peut se désintégrer au moindre bruit électromagnétique ou à la plus petite interférence.
Mais dans cette nouvelle expérience, publiée en décembre dans la revue Optica, les chercheurs ont réussi à faire circuler un photon intriqué via des fibres Internet classiques, partagées avec du trafic numérique ordinaire. Autrement dit : ils ont inséré un signal quantique dans le flot de données utilisées pour Netflix, les appels Zoom ou les paiements en ligne — et il a survécu.
Une première dans l’histoire de la science.
Comment ont-ils fait ?
Le secret réside dans la manière dont la lumière se propage à travers les fibres optiques. En optimisant la forme du signal et la manière dont le photon est injecté dans le réseau, les chercheurs ont réduit au minimum les perturbations. Ils ont ainsi pu conserver la cohérence quantique du photon sur une distance de près de 30 kilomètres, malgré la « pollution numérique » ambiante.
C’est un peu comme envoyer une plume dans une tempête… et la récupérer intacte de l’autre côté.

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Crédits : Kiryl Pro motion/istockUne porte ouverte sur l’Internet du futur
Ce résultat dépasse le simple exploit technique. Il constitue une avancée décisive vers l’Internet quantique, un réseau mondial capable de transmettre de l’information en exploitant les lois de la physique quantique plutôt que les signaux classiques.
Un tel réseau permettrait :
Un chiffrement incassable, basé sur l’impossibilité d’intercepter une information quantique sans la perturber,
Des simulations scientifiques ultra-complexes, comme la modélisation du climat global ou le repliement de protéines,
Des échanges entre ordinateurs quantiques, jusqu’ici limités à des laboratoires isolés.
Jusqu’à présent, on pensait que cette infrastructure devrait reposer sur un réseau entièrement neuf, dédié exclusivement aux signaux quantiques. Mais l’expérience de Northwestern démontre qu’il est possible d’utiliser les réseaux déjà en place, ce qui rend la transition vers l’internet quantique bien plus réaliste et rapide qu’on ne l’imaginait.
Une nouvelle ère de communication
La téléportation quantique n’est pas une nouveauté en soi — elle a été démontrée pour la première fois en 1997. Mais jamais elle n’avait été réalisée dans des conditions aussi proches de celles du monde réel. Grâce à cette percée, la barrière entre la théorie et l’application concrète vient de se fissurer.
Nous sommes peut-être encore loin de téléporter des objets ou des humains, mais dans le monde invisible de la physique subatomique, la téléportation est bien réelle. Et désormais, elle circule dans nos câbles Internet.