C’est une idée qui semble tout droit sortie d’un roman de science-fiction, et pourtant : selon une nouvelle étude publiée dans JAMA Network Open, vos habitudes bancaires pourraient révéler les tout premiers signes de déclin cognitif, parfois jusqu’à dix ans avant un diagnostic formel. À l’heure où la population vieillit rapidement et où la détection précoce devient un enjeu crucial, ces résultats pourraient bien changer la manière dont nous surveillons notre santé mentale… sans même quitter notre compte en banque.
Ce que les banques savent déjà (sans le dire)
L’étude, menée par l’Université de Nottingham en collaboration avec le Lloyds Banking Group, s’est penchée sur les données anonymisées de plus de 66 000 clients. Parmi eux, un groupe de 16 742 personnes a été identifié comme ayant obtenu une procuration légale pour cause de perte de capacité financière. Ces profils ont été comparés à 50 000 autres n’ayant déclaré aucune perte de capacité.
En croisant ces données, les chercheurs ont observé des changements subtils mais constants dans le comportement financier des personnes en voie de déclin cognitif, plusieurs années avant toute formalisation médicale ou administrative.
Moins de voyages, plus de factures : un virage silencieux
Parmi les signaux les plus marquants :
Une baisse de 9,6 points dans les dépenses liées aux voyages, cinq ans avant la mise sous procuration.
Moins de dépenses en loisirs comme le jardinage.
Moins de connexions aux comptes bancaires en ligne.
Davantage de réinitialisations de code PIN, de cartes perdues ou de plaintes pour fraude.
En parallèle, une augmentation des dépenses domestiques (factures, alimentation…) trahit un repli progressif de la personne sur son environnement immédiat.
Ces changements peuvent sembler anecdotiques pris individuellement. Mais mis bout à bout et observés dans la durée, ils composent une signature comportementale du déclin cognitif. Autrement dit, notre manière de gérer notre argent devient un miroir discret mais révélateur de notre santé cérébrale.
Quand la banque devient un outil de santé publique
Pour les auteurs de l’étude, cette découverte ouvre des perspectives immenses : « C’est une démonstration puissante de la manière dont les données financières peuvent être utilisées, de manière responsable, pour protéger les personnes les plus vulnérables », explique le professeur John Gathergood, co-auteur de l’étude.
Les implications sont nombreuses. Si ces données étaient croisées avec les parcours de santé (avec le consentement des personnes concernées), il serait possible de :
Identifier les profils à risque, bien avant que les proches ou les soignants ne s’en rendent compte.
Mieux cibler les campagnes de sensibilisation à la procuration ou à l’accompagnement des personnes âgées.
Développer des alertes automatisées, permettant d’agir avant qu’une erreur financière grave ou une escroquerie ne survienne.
Des promesses, mais aussi des précautions
Bien sûr, cette approche pose des questions sensibles en matière de confidentialité. Personne ne souhaite que sa banque analyse en secret ses moindres achats pour dresser un diagnostic médical.
C’est pourquoi les chercheurs insistent : l’analyse repose uniquement sur des données anonymisées, sans exploitation commerciale. L’objectif n’est pas de surveiller, mais d’aider.
« En comprenant mieux les signaux faibles qui précèdent la perte de capacité financière, les institutions peuvent concevoir des dispositifs de protection plus efficaces et plus humains », précise le professeur Gathergood.
Vers une détection silencieuse mais salvatrice
Dans un monde où la maladie d’Alzheimer touche de plus en plus de familles, chaque année gagnée sur le diagnostic peut faire la différence. Et si la solution ne passait pas uniquement par les tests cliniques, mais aussi par une observation intelligente de notre quotidien numérique ?
À l’avenir, il est possible qu’une alerte bancaire bienveillante soit le premier indice d’un trouble cognitif naissant. Encore faut-il créer un cadre éthique, sécurisé et respectueux, où la technologie reste au service de la personne, et non l’inverse.