Et si la prochaine grande révolution dans la lutte contre le cancer ne venait ni d’un nouveau médicament, ni d’une technique chirurgicale… mais d’un réacteur nucléaire ? C’est exactement ce que vient de démontrer la Chine, en produisant pour la première fois sur son territoire de l’yttrium-90, un isotope radioactif utilisé dans le traitement ciblé du cancer du foie.
Cette annonce, faite par la China National Nuclear Corporation (CNNC) le 14 juin 2025, marque une étape majeure dans le développement de la médecine nucléaire chinoise. Mais au fait, pourquoi la Chine se met-elle à fabriquer un matériau aussi spécifique dans un réacteur à eau lourde ? Que permet-il exactement ? Et en quoi cela pourrait changer la donne pour des milliers de malades ?
Un isotope au pouvoir chirurgical
L’yttrium-90 (ou Y-90) est un isotope radioactif émetteur bêta, ce qui signifie qu’il libère une forme de rayonnement capable de détruire les cellules. Mais à la différence de certains traitements qui affectent tout l’organisme, le Y-90 est ultra-ciblé. Il est utilisé sous forme de microsphères de verre – des petites billes radioactives injectées directement dans les vaisseaux sanguins qui irriguent une tumeur, via une procédure mini-invasive appelée radioembolisation transartérielle (TARE).
Une fois sur place, les microsphères libèrent une radiation localisée, avec une portée d’à peine 2,5 millimètres dans les tissus. Résultat : les cellules tumorales sont attaquées, tandis que les tissus sains à proximité sont largement épargnés. Ce traitement est particulièrement utile contre les cancers du foie à un stade avancé, quand la chirurgie n’est plus une option.
Jusqu’ici, une dépendance coûteuse
Le problème ? Jusque récemment, toutes les microsphères d’yttrium-90 utilisées en Chine étaient importées. Et comme dans beaucoup de domaines médicaux, cette dépendance posait des problèmes à la fois logistiques, financiers et sanitaires.
Les délais d’importation pouvaient retarder des traitements urgents. Les coûts, souvent élevés, n’étaient pas toujours pris en charge. Et l’approvisionnement, limité, ne répondait pas à la demande croissante des hôpitaux chinois.
Face à ce constat, la CNNC a lancé un défi technique ambitieux : produire l’isotope en interne, en s’appuyant sur le savoir-faire nucléaire du pays.

Un réacteur nucléaire au service de la santé
La solution a été trouvée sur le site nucléaire de Qinshan, dans la province du Zhejiang. Là, au sein de l’unité Hefu-1, les ingénieurs ont réussi à irradier des microsphères de verre, puis à extraire l’yttrium-90 avec succès. Le tout grâce à un réacteur à eau lourde, une technologie capable de fournir un flux de neutrons élevé et stable – idéal pour ce type de production.
Cette réussite est le fruit de trois années de travail entre les chercheurs de CNNC, l’ingénierie nucléaire de Shanghai, et d’autres acteurs de l’industrie nucléaire chinoise. Et elle ouvre désormais la voie à une production à grande échelle, 100 % nationale.
Vers une médecine nucléaire made in China
Pour les patients, les bénéfices sont immédiats : plus de disponibilité, des coûts réduits, et surtout, un accès plus équitable à une thérapie souvent réservée aux grandes métropoles. Pour le gouvernement chinois, c’est aussi une façon de montrer sa capacité à innover dans des domaines stratégiques, et de réduire sa dépendance technologique face à l’Occident.
Mais l’ambition va au-delà du traitement du cancer du foie. L’yttrium-90 n’est qu’un exemple parmi d’autres d’isotopes médicaux à fort potentiel. Avec cette nouvelle capacité de production, la Chine espère bien devenir un acteur mondial dans le développement de radiopharmaceutiques, ces médicaments utilisant la radioactivité pour diagnostiquer ou traiter des maladies.

Un avenir prometteur… mais encadré
Avant une utilisation clinique généralisée, les échantillons produits doivent encore passer par des tests approfondis : pureté, stabilité, activité spécifique… Rien n’est laissé au hasard. Tous les indicateurs publiés par la CNNC sont cependant très encourageants : ils respectent les normes internationales, et ouvrent la voie à une autorisation d’utilisation médicale à court terme.
Comme le souligne Li Shisheng, ingénieur en chef de la base de Qinshan : « Ce projet montre que la technologie nucléaire peut être mise au service de la vie humaine, pas seulement de la production d’énergie. »
Une arme anticancer cachée dans un réacteur
Cette histoire résume bien une tendance plus large : le nucléaire civil ne se limite plus à produire de l’électricité. Dans l’ombre des débats sur les centrales, la technologie nucléaire devient aussi une alliée discrète mais puissante de la médecine moderne.
Et si les réacteurs de demain ne servaient pas seulement à éclairer nos maisons, mais aussi à sauver des vies ?