Hearst a des allures de village gaulois avec ses invincibles francophones dont les origines remontent à plus de 100 ans, et qui, aujourd’hui, composent 86 % de sa population, dans une province majoritairement anglophone.
Ce paisible et fier village nordique, qu’on pourrait surnommer Hearstérix, a vu, depuis dix ans, la potion magique de sa francophonie être pimentée par de nouveaux accents, provenant entre autres du Congo, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, qui résonnent dans les corridors de l’université comme dans les rues de ce qu’on surnomme souvent le P’tit Québec en Ontario .
Alors que seulement quatre étudiants africains avaient grossi les rangs de l’Université de Hearst en 2015, ce sont maintenant des centaines de jeunes qui quittent le chaud soleil de leur continent afin de poursuivre des études en français et de s’établir ensuite dans l'une des capitales forestières du Canada, malgré l’isolement et le froid.
Après avoir terminé ses études à l’Université de Hearst, Papa Ibrahima Coulibaly travaille au registrariat de l’établissement.Photo : Mouhamadou Seck
Le papa
Le papa
Papa Ibrahima Coulibaly possède la même voix calme que Boucar Diouf ainsi que le même phrasé : un beau mélange de joual et de wolof.
Tout comme l’humoriste québécois avec qui il partage également ses origines sénégalaises, Papa avait d’abord envisagé d’étudier à Rimouski. Ce sont les droits de scolarité plus bas que ceux des autres universités et l’offre unique de cours en bloc qui l’ont attiré à Hearst, il y a 10 ans.
Papa, qui a fait partie des quatre premiers étudiants africains de l’Université de Hearst, est aussi rapidement tombé amoureux de cette ville autoproclamée capitale nationale de l’orignal où il a découvert la motoneige, de longues rides et des curves qui te shakent le corps, précise le jeune homme.
Désormais à l’emploi de l’Université de Hearst, Papa se souvient de l’accueil chaleureux qu’il a reçu. Quand je me rendais travailler à l’épicerie locale, tout le monde voulait me donner un lift. Mes nouveaux voisins voulaient tout savoir du Sénégal, ils faisaient des recherches sur Internet pour mieux parler du pays avec moi.
Tout le monde en ville l’appelle Papa. C’est son prénom, bien sûr, et il est aussi papa de deux garçons qui gèrent le froid beaucoup mieux que leur père, confie celui dont l’épouse, Geneviève Gratton, est une fille de la place.
En tant que doyen africain de la ville, il est également devenu le parrain de celles et ceux qui arrivent d’Afrique pour étudier en ville. Pas seulement à mon bureau, ma maison leur est toujours ouverte, indique le trentenaire travaillant au registrariat de l’université où il aide les étudiantes et étudiants immigrants à la fois dans leur parcours universitaire et dans leur nouvelle vie nordique. Ce qui le surprend, c’est que certaines personnes venues à Hearst seulement pour y faire leurs études choisissent parfois d’y revenir après avoir tenté l’expérience des métropoles canadiennes.
Stessy Ndongo Mombo, un ami de Papa, est une de ces personnes. Ce Gabonais s’est brièvement établi à Montréal après ses études à l’Université de Hearst, mais il est revenu dans le Nord ontarien seulement quelques mois plus tard pour y ouvrir son entreprise de déménagement.
Dans la métropole québécoise, Stessy n’a pu trouver aucun appui pour ses projets d’affaires, alors que, dès son retour en ville, une commerçante de Hearst, Gina Despaties, a choisi de le mentorer et lui a même prêté un camion pour qu’il puisse effectuer ses premiers contrats.
« J’aime pas Hearst, j’adooore Hearst! »
Stessy est l’un des rares Africains à avoir osé jouer au hockey, véritable religion à Hearst, et ce sur la patinoire qu’ont fréquentée Claude Larose et Claude Giroux, des légendes de la ligue nationale originaire de la région. Le jeune homme est ensuite devenu adepte de la pêche sur glace.
La grande séduction
S’assurer que le courant passe entre le P’tit Québecdu Nord de l’Ontario et les gens qui viennent y étudier, c’est la mission de Samantha Losier. La responsable du Bureau de l’international de l’Université de Hearst est aux commandes d’une équipe d’accompagnement individualisé pour la population étudiante africaine.
Depuis une décennie, cette femme au rire généreux recrute ces universitaires lors de foires en Afrique francophone. Au départ, cette tâche représentait un volet secondaire de ses responsabilités, mais le projet a si bien fonctionné que Samantha travaille uniquement sur ce dossier.
Un étudiant s’était grièvement blessé à la main lors d’un match de soccer. Il craignait l’amputation. Ses parents étant en Afrique, c’est moi qui le rassurais à l’hôpital, qui le consolais, qui séchais ses larme, raconte Samantha Losier, complètement investie dans sa mission. Elle renchérit avec une anecdote : Au début, on avait fourni des bicyclettes aux étudiants pour qu’ils puissent se déplacer. Mais certains devaient apprendre à faire du vélo. Je courais derrière eux en les encourageant et en les rattrapant s’ils perdaient l’équilibre.
La femme originaire de Kapuskasing (une ville voisine à un peu moins de 100 km) insiste sur l’importance d’être honnête avec les jeunes universitaires venant d’Afrique et leurs familles afin d’éviter les déceptions. Il faut leur expliquer que Hearst, c’est un microvillage isolé au cœur de la forêt, avec des montagnes de neige en hiver. Mais cela rassure certains parents de savoir qu’il n’y a pas toutes les distractions malsaines de la jungle urbaine, précise Samantha Losier.
En poste depuis une année seulement, la rectrice de l’Université de Hearst fait face à des défis colossaux. Aurélie Lacassagne doit, entre autres, augmenter l’offre de programmes pour attirer plus d’étudiantes et d’étudiants locaux et étrangers, et assurer la survie d’un modèle économique coûteux en raison de l’appui individualisé offert aux gens venus d’ailleurs.
Ce partenariat d’accompagnement (plutôt que le recours à des agences d’immigration ou d’admission non accréditées) ainsi que le recrutement international direct permettent à l’Université de contrer les documents d’admission frauduleux, une tendance préoccupante au sein de certaines universités canadiennes, ces dernières années.
Aurélie Lacassagne est la rectrice de l’Université de Hearst qui s’est dotée d’une expertise interne en immigration étudiante avec actuellement deux employées accréditées par le Collège d’immigration canadienne et un troisième en formation. Photo : Radio-Canada / Jimmy Chabot
Toutefois, le principal obstacle auquel font face les étudiantes et les étudiants reste le logement.
Le manque est criant, à Hearst comme dans plusieurs villes canadiennes qui ont connu une vague d’immigration. Aurélie Lacassagne héberge elle-même deux universitaires.
Sans la présence de ses pensionnaires, un étudiant et une étudiante originaires d’Afrique, Nicole Mongrain-Deschamps aurait dû vendre sa maison et s’installer dans une résidence pour personnes âgées.Photo : Mouhamadou Seck
Les relations symbiotiques
Les relations symbiotiques
Nicole Mongrain-Deschamps a faim et ça tombe bien, son chambreur Edoh-Hans Daye cuisine un plat africain : du mafé à la sauce aux arachides. Ce Béninois est venu étudier en gestion à Hearst avec deux de ses cousins. Faute de logement disponible, ils ont d’abord dû partager une chambre de motel.
Mais Edoh-Hans a finalement trouvé une chambre chez Nicole qui, depuis le décès de son mari en mars 2023, paniquait à l’idée de vivre seule. Cette dame a aussi des problèmes de santé et considérait vendre sa petite maison pour déménager dans un foyer pour personnes âgées.
Nicole a donc approché l’Université afin de savoir si elle pouvait accueillir comme pensionnaires des étudiantes et étudiants étrangers. On lui en a trouvé deux : Edoh-Hans et Maryse.
L’arrivée de ces deux pensionnaires a apporté un revenu supplémentaire à Nicole, mais surtout une présence rassurante. Y’est ben comique, ce p’tit-là, précise la dame au sujet de Edoh-Hans. La complicité entre les deux saute aux yeux.
Edoh-Hans entretient la maison, fait la cuisine, le ménage, le pelletage. Pour l’étudiant béninois, cette maison est plus chaleureuse que les appartements où habitent d’autres étudiants et étudiantes. Il a aussi créé des liens d’amitié avec les enfants et les petits-enfants de Nicole. Ils célèbrent Noël et les anniversaires ensemble.
« Je suis si fier de cette relation avec Nicole et avec la famille entière! Ma photo figure même au babillard familial, au même titre que les photos des enfants de Nicole. Ça veut dire beaucoup pour moi. »
Puisque beaucoup de personnes plus âgées vivent seules dans des grandes maisons avec des chambres disponibles, la direction de l’Université espère que ce modèle de cohabitation puisse devenir l’une des solutions au manque de logements pour les étudiants et étudiantes d’origine africaine à Hearst.
Nicole est catégorique : sans Edoh-Hans, elle ne pourrait plus vivre dans sa maison.
Samantha Losier insiste également sur le fait que, sans cette population étudiante africaine qui compte pour environ 80 % des dernières cohortes, l’Université de Hearst aurait probablement fermé ses portes, et les jeunes de la région auraient dû déménager à des centaines de kilomètres afin de poursuivre leurs études universitaires.
L’Université de Hearst est située à un peu moins de mille kilomètres au nord de Toronto.Photo : Radio-Canada / Jimmy Chabot
Pour Michèle Leblanc de la Caisse Alliance, une institution financière qui emploie une quinzaine de personnes diplômées venues d’Afrique dans des postes permanents en plus d’un personnel temporaire toujours aux études, il ne fait aucun doute que plusieurs commerces de la région ne fonctionneraient tout simplement plus en leur absence.
« Bien sûr, au début, nos clients ont été surpris et il y a eu des ajustements au niveau de l’accent et de la compréhension réciproque. Mais leurs grandes compétences compensent largement. C’est vraiment un atout, pour nous! »
Le recrutement d’universitaires sur le continent africain a amené en ville des centaines de résidents et résidentes qui constituent maintenant près de 10 % de la population. (Photo d'archives)Photo : Radio-Canada / Francis Bouchard
Nancy Jacques, copropriétaire du Villa Inn, un des quatre motels de Hearst qui ont tous massivement recruté leur main-d’œuvre parmi les étudiantes et étudiants africains de l’Université, se dit comblée par ces jeunes : Ils sont à la fois dynamiques et zen, compréhensifs, souples, easy-going.
La propriétaire a eu un coup de cœur pour Marie-Rose, une Sénégalaise qu’elle a nommée gérante adjointe et qui a finalement quitté cet emploi pour un poste dans une agence gouvernementale comme conseillère à l'emploi pour les immigrants et immigrantes! Des jeunes nés ici, il y en a de moins en moins, et ils ne veulent pas toujours occuper certains emplois. Ces jeunes venus d’Afrique, on leur donne une première chance, mais ensuite, d’autres employeurs se les arrachent avec des emplois mieux payés. Les petits commerces doivent beaucoup à l'Université. Sans ces étudiants africains, on serait tous dans le pétrin, insiste Nancy Jacques.
Hearst est la capitale autoproclamée de l’orignal. C’est dans ce décor aux antipodes de sa Côte d’Ivoire natale que Grace-Eunice Koffi a fondé ses entreprises.Photo : Mouhamadou Seck
Une relève entrepreneuriale
Une relève entrepreneuriale
Dans son appartement situé face à l’hôpital de Hearst, Grace-Eunice Koffi tient avec fierté sa jeune fille dans ses bras. Cette Ivoirienne venue étudier l’administration des affaires adore patiner et rigole en avouant avoir encore du mal à éviter les chutes spectaculaires.
Grace-Eunice a lancé trois entreprises dans sa ville d’adoption. La principale est une firme de nettoyage pour résidences et commerces. Elle gère cinq employées, principalement d’origine africaine. Sa clientèle compte entre autres des membres de la Première Nation de Constance Lake, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest.
L’entrepreneure confectionne aussi des agendas rétro conçus à Hearst et elle a tenu pendant un an une boutique de vêtements pour femmes. Mes clientes, c’étaient surtout des "Blanches" de Hearst qui achetaient des vêtements africains, qui cherchaient cette élégance, ces couleurs, souligne la jeune femme débordante d’énergie qui organise des défilés de mode flamboyants rapidement devenus des happenings communautaires.
Celle qui a reçu le prix Jeune entrepreneur de l’année 2023 au concours provincial RelèveON explique qu’elle a pu bénéficier de beaucoup de soutien et d’expertise à Hearst puisqu’historiquement, il s’agit d’une ville entrepreneuriale. Par son emplacement géographique et son industrie forestière prospère, la municipalité du Nord de l’Ontario a attiré des dizaines de francophones qui y ont implanté leur entreprise et y ont fait fortune.
Ce qui étonne le plus quand on arrive dans la ville désignée capitale forestière du Canada en 2015, ce sont les piles d’immenses épinettes abattues à perte de vue et la machinerie forestière intimidante.
À la fin de son quart de travail, c’est de ce paysage qu’émerge Innocent Kue Tala, un Camerounais venu étudier l’administration des affaires à Hearst. Ce costaud a la même carrure solide que ses collègues, seule la couleur de sa peau diffère.
Quand on lui demande comment ça va, il répond Ça va pas pire! Thank you, mon homme, charmant mélange de parlure locale et d’accent camerounais.
Dès son arrivée, Innocent est tombé amoureux de la nature, la forêt, la pêche, la chasse, le mode de vie des nombreuses personnes qui habitent à Hearst. Photo : Radio-Canada / Jimmy Chabot
Le jeune Camerounais rêvait de travailler en administration pour une des entreprises forestières de la région. Toutefois, quand un emploi d’opérateur de machines a été offert à l’usine il y a trois ans, il a relevé le défi. Il adore le bois, son odeur. Il est fier : Faire du 2 x 4, c’est ça, mon job!
Sur les 200 personnes employées, ils sont cinq Africains à travailler à GreenFirst, une compagnie forestière dont le siège social est à Toronto, mais qui possède quatre usines dans le Nord ontarien.
Au début, Innocent a eu à désamorcer les préjugés raciaux d’une partie de ses collègues. Ça se passait, dans les remarques, les regards. Ce n’était pas du racisme affirmé, mais ça se sentait qu’ils ne me faisaient pas confiance à cause de la couleur de ma peau. Maintenant, ce n’est plus un enjeu, indique celui dont la nouvelle passion est d’aller chasser la perdrix et de pêcher dans les nombreux lacs des environs.
Le Companion, bonjour! Puis-je prendre votre réservation? Aby Seck Sene est souvent le premier contact pour les touristes qui visitent la ville. Plutôt que la voix à l’accent franco-canadien d’autrefois, c’est celle d’une jeune femme du Sénégal qui accueille les gens au Companion, un mythique motel-restaurant-bar, sur la rue Front.
Le motel reçoit chaque hiver des centaines de motoneigistes, dont plusieurs touristes en provenance des États-Unis.
En plus de son emploi au Companion, l’étudiante en administration des affaires travaille sur un projet de chaîne de restaurants africains dans les trois campus de l’Université de Hearst. Elle rêve de faire découvrir le thiéboudiène sénégalais à tous les gens de l’endroit. Aby a aussi conçu une poutine sénégalaise avec une béchamel et de la viande assaisonnée aux épices de son pays d’origine.
Par sa jeunesse, la couleur de sa peau, sa religion, sa fibre entrepreneuriale et son emploi dans une institution de la ville, Aby incarne le nouveau visage de Hearst. Mais parfois, lorsqu'elle porte le voile musulman, elle a l’impression que ça dérange.
La jeune sénégalaise travaille fort à faire de la pédagogie dans son voisinage, à expliquer et à rassurer. Elle s’inquiète aussi de la santé mentale des étudiantes et étudiants africains si loin des parents et de la chaleur, mais assure que l'Université offre immensément de ressources.
Actuellement, l’Université de Hearst accueille plus de 300 étudiantes et étudiants africains sur ses trois campus (Hearst, Kapuskasing et Timmins), ce qui constitue 82 % de la population étudiante totale. En 2024-2025, l’établissement a dû encaisser une baisse de 35 % d’admissions internationales, conséquence de la baisse du nombre de permis délivrés par le gouvernement fédéral. (Photo d'archives)Photo : Radio-Canada / Francis Bouchard
À l’Université de Hearst, un grand nombre d’universitaires d’origine africaine étudient d’ailleurs la psychologie dans l’espoir de pouvoir aider d’autres immigrants et immigrantes à survivre au choc culturel et thermique, voire de ramener cette expertise en psychologie dans leur pays natal où on néglige trop souvent les maux de l’âme. C’est le cas du Béninois Maurice Ahouangan qui, lui aussi, est venu s’établir, en compagnie de plusieurs cousins et cousines, dans cette petite ville située à 350 km à l’ouest de la frontière québécoise.
Ce jeune homme, en apparence timide, s’anime et peut faire la conversation pendant des heures quand on parle de philosophie et de littérature. Pourtant, il a passé son adolescence loin de ces disciplines : On ne parle presque jamais de psychologie dans mon pays et je détestais lire.
Maurice Ahouangan étudie la psychologie à l’Université de Hearst.Photo : Gracieuseté : Ndery Dione
Dévasté par la mort de sa mère, Maurice a senti le besoin de trouver des réponses que la religion et les sciences pures ne lui apportaient plus.
Il a donc choisi de s’inscrire en psychologie à l’Université de Hearst, où il a aussi découvert la philosophie. Devenu lecteur compulsif, Maurice passe régulièrement au bureau d’Aurélie Lacassagne, la rectrice, qui lui refile des romans humanistes et des essais philosophiques afin d’étancher l’insatiable soif de réponses du jeune homme.
Patrice Villeneuve, Mouhamed Samba et Osnelle Sevi assistent au Ciné-Club de l’Université de Hearst Photo : Radio-Canada / Jimmy Chabot
La nouvelle hybridité culturelle
La nouvelle hybridité culturelle
À titre de chercheuse universitaire, la rectrice Aurélie Lacassagne s’est intéressée à la cohésion de cette nouvelle hybridité culturelle. Elle a entre autres étudié le métissage de l’identité locale traditionnelle avec la venue, en Ontario, de ces milliers de personnes originaires d’Afrique dans un essai intitulé Perspectives créoles sur l’identité et la culture franco-ontarienne qui documente et fait l’éloge de cette hybridité.
« C’est parce qu’on est dans une si petite communauté [Hearst] que cette créolité peut aussi bien fonctionner. On n’est pas dans une métropole où les gens peuvent se ghettoïser. Le mélange des cultures se fait naturellement. »
Aurélie Lacassagne termine sa première année comme rectrice de l’Université de Hearst.Photo : Radio-Canada / Jimmy Chabot
La rectrice soulève que tout le monde ajoute des éléments de la culture des autres à la sienne. Ça s’entend même dans les chants à l’église. Il y a quelques semaines, à la Légion canadienne, le Centre de folklore franco-ontarien a fait une soirée. Il y avait des contes traditionnels "d’icitte", mais aussi des contes africains. Les gens de Hearst ont trippé ben raide, raconte Aurélie Lacassagne.
Marie Lebel, qui enseigne l’histoire depuis quelques décennies à l’Université de Hearst, témoigne de cette unicité du partage des cultures. Ces étudiants africains, c’est un immense cadeau pour nous, les profs. La richesse humaine que ça amène dans nos classes, leur curiosité intellectuelle et la stimulation que ça offre à nos étudiants de la région, c’est précieux.
L’historienne et professeure de l’Université de Hearst Marie Lebel pose en compagnie d’étudiantes d’origine africaine.Photo : Gracieuseté : Marie Lebel
Exemple de ce métissage, le jeune Hearstien Patrice Villeneuve a lancé un ciné-club sur le campus qui présente en alternance des films nord-américains et africains. Son amoureuse, Osnelle Sevi, une étudiante africaine, vient de lancer son entreprise de pâtisserie, et leur meilleur ami, Mouhamed Samba, participe à la sélection des films.
Parmi les initiatives pour favoriser l’apport des différentes cultures, le journal local a engagé un étudiant africain, Ndery Dione, pour mieux raconter cette nouvelle diversité.
Sur le campus de l’Université de Hearst situé à Kapuskasing, la chorale Afri-Cana (pour Afrique-Canada) compte dans ses rangs le surdoué pianiste ivoirien Jean-Emmanuel Yameogo, qui interprète, entre autres, des pièces de Jean-Pierre Ferland. Jean-Emmanuel a aussi été recruté par une chorale canadienne-française comme accompagnateur.
En 2012, l’Université de Hearst n’avait que des étudiants et étudiantes de la région immédiate. Pierre Ouellette, le recteur de l’époque, a annoncé que son établissement se préparait à participer à des foires de recrutement dans certains pays d’Afrique pour y convaincre des étudiants et étudiantes d’entreprendre leurs études à Hearst.Photo : Radio-Canada / Jimmy Chabot
Évidemment, tout n’est pas parfait. En salle de classe, les débuts ont été ardus. Samantha Losier en convient : Est-ce que les étudiants locaux ont été bousculés en réalisant qu’ils devenaient minoritaires face à leurs collègues venus d’Afrique? Sûrement! Mais rapidement, des amitiés et des complicités sont nées. Est-ce que des profs trouvent parfois certains étudiants africains désintéressés des réalités canadiennes enseignées? Bien sûr! Mais donnons-leur du temps. Ils sont si jeunes, ils viennent d’une réalité si différente! Il faut trouver comment aller les chercher, culturellement. Sinon, le repli vers la communauté d’origine est normal. On ferait pareil
Dans le sous-sol de l’édifice de l’Université de Hearst, une scène frappe l’imaginaire : par un soir d’hiver glacé, une trentaine d’étudiants africains jouent au soccer avec des filets de hockey. La rectrice, passant par là, renvoie habilement le ballon sur la surface de jeu, suscitant des réactions admiratives. La classique rondelle de hockey a été remplacée par le ballon rond; une scène qui aurait été inimaginable il y a dix ans dans cet espace.
Plus révélateur encore : le ravissement de Merveil Badibanga, un étudiant d’origine congolaise inquiet des troubles politiques dans son pays natal, qui transpose ses états d’âme en rap qu’il souhaite chanter dans des concours musicaux ontariens.
Il se remémore, les yeux brillants, le Crazy Dip, en février : Les gens plongeaient dans la rivière glacée pour amasser de l’argent versé à des causes humanitaires. Tout le village était au rendez-vous. C’était comme chez moi, au Congo; l’esprit communautaire… en beaucoup plus froid, d’accord. Mais c’était si beau de voir tout le monde de Hearst s’amuser ensemble!
C’est à croire que les invincibles Gaulois ont peut-être remporté une autre victoire, par Toutatis!
Journaliste : Éric Robitaille Photographies : Jimmy Chabot et Mouhamadou Seck Design : Sophie Leclerc Édimestre : Emily Blais Révision : Annick Charlebois Édition : Marylène Têtu Cheffes de projet : Marie-Christine Daigneault et Marylène Têtu
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Empreintes est une plateforme de récits numériques où se côtoient la beauté du territoire et la diversité des gens qui l’habitent. Découvrez les portraits de ceux et celles qui définissent la poésie d’un endroit, qui le portent et le font vivre. Les empreintes que l’on voit et celles laissées dans le cœur des gens.