L’urine. Déchet universel, sujet tabou, et pourtant… une ressource aux possibilités insoupçonnées. Si cette idée vous semble saugrenue, sachez qu’une équipe de chercheurs vient de prouver que notre pipi pourrait bien devenir un matériau médical de pointe, et ce, tout en aidant à protéger l’environnement. Une prouesse scientifique qui, sous ses airs de science-fiction, est en réalité bien concrète — et surtout prometteuse.
Un déchet qui pose problème
Chaque jour, des milliards de litres d’urine sont rejetés dans les systèmes d’égouts du monde entier. Or, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’urine n’est pas un liquide inoffensif : sa charge en nutriments (azote, phosphore, etc.) est si élevée qu’elle peut déséquilibrer gravement les écosystèmes aquatiques. Elle participe notamment à l’eutrophisation, ce phénomène où la surabondance de nutriments favorise la prolifération d’algues, asphyxiant littéralement l’eau et la vie qui s’y trouve.
Mais si l’on pouvait transformer ce liquide problématique… en quelque chose d’utile ?
C’est exactement ce qu’ont réussi à faire des chercheurs de l’Université de Californie à Irvine, en collaboration avec des laboratoires japonais et américains.
Transformer l’urine en os : comment c’est possible ?
Le secret réside dans un minéral appelé hydroxyapatite (HAp), un phosphate de calcium naturellement présent dans nos os et nos dents. L’hydroxyapatite est déjà utilisée en médecine, notamment dans les implants osseux et dentaires, grâce à ses qualités : légèreté, biocompatibilité, durabilité.
Le problème ? Sa production reste coûteuse et nécessite des procédés industriels complexes.
La solution ? Une levure génétiquement modifiée, surnommée osteoyeast, qui mime le fonctionnement des ostéoblastes — ces cellules humaines qui fabriquent le tissu osseux.
Concrètement, voici comment ça marche :
L’urée contenue dans l’urine est décomposée par la levure, ce qui augmente le pH du milieu.
Cela déclenche une réaction interne qui stocke le calcium et le phosphate, deux éléments clés.
L’hydroxyapatite cristallise à l’intérieur de la levure, puis est sécrétée hors de la cellule.
Résultat : jusqu’à 1 gramme d’hydroxyapatite est produit par litre d’urine, et ce, en moins de 24 heures.

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Crédits :nito100/istockUne solution low-tech… aux applications high-tech
Selon les chercheurs, ce procédé ne nécessite ni équipements de haute technologie, ni températures extrêmes. Il s’inspire de la fermentation de la bière : des levures, des cuves, un environnement contrôlé… et c’est tout. Cela signifie que cette technologie pourrait être mise en œuvre à grande échelle, y compris dans des pays où les infrastructures médicales sont limitées.
C’est une avancée à fort potentiel, non seulement pour récupérer des matériaux précieux à bas coût, mais aussi pour produire localement des composants essentiels à la médecine moderne.
Un marché à 3,5 milliards de dollars
La production d’hydroxyapatite est déjà un marché en pleine croissance. Elle est utilisée pour les substituts osseux, les revêtements de prothèses, les systèmes de délivrance de médicaments et même dans certaines techniques de restauration archéologique.
Avec ce nouveau procédé, ces matériaux pourraient devenir plus durables, plus accessibles et plus écologiques. D’ici 2030, le marché de l’HAp est estimé à plus de 3,5 milliards de dollars.
Et après ? De l’urine… à l’énergie
David Kisailus, co-auteur de l’étude, voit encore plus loin. En collaboration avec le professeur Yasuo Yoshikuni du Lawrence Berkeley Lab, il cherche à adapter cette technologie pour produire d’autres matériaux fonctionnels — y compris pour des applications énergétiques ou en impression 3D.
L’idée : exploiter la souplesse du système de levure pour créer des matériaux architecturés, aux propriétés sur mesure, avec des fonctions mécaniques, optiques ou thermiques spécifiques. Bref, fabriquer des matériaux intelligents… à partir d’urine.
Un petit pipi, un grand bond pour la science
Ce projet, financé par le département américain de l’Énergie, la DARPA et l’armée de l’air, est un bel exemple de bioinspiration et d’économie circulaire. Il montre que même les déchets les plus intimes peuvent devenir des ressources d’avenir.
Alors, la prochaine fois que vous irez aux toilettes, dites-vous que vous venez peut-être de produire la matière première d’un futur implant médical… ou d’un composant de satellite.
Comme quoi, la science peut littéralement transformer nos déchets en or.
L’étude est publiée dans la revue Nature Communications.