Un médicament vétérinaire testé sur des chiens atteints de cancer des os a montré des résultats si prometteurs qu’il pourrait bientôt devenir un traitement de référence pour les enfants atteints de la même maladie. Derrière cette avancée, une discipline en pleine émergence : l’oncologie comparative.
Quand la médecine vétérinaire inspire l’oncologie pédiatrique
Cela peut sembler surprenant, mais le chien est devenu un modèle précieux pour la recherche contre certains cancers humains. Contrairement aux souris de laboratoire génétiquement modifiées, les chiens développent naturellement des cancers, comme les humains, avec des mécanismes biologiques très similaires. C’est le cas de l’ostéosarcome, une tumeur osseuse rare mais agressive, qui touche à la fois les enfants et les chiens de grande taille.
En France, l’ostéosarcome touche chaque année plusieurs centaines d’enfants et des dizaines de milliers de chiens. Dans les deux cas, le traitement repose généralement sur une chirurgie lourde – souvent une amputation – suivie d’une chimiothérapie. Le pronostic reste sombre en cas de récidive ou de métastases, notamment pulmonaires
Mais une société américaine, OS Therapies, a décidé de changer la donne en développant une thérapie innovante : OST-HER2, une immunothérapie ciblant une protéine bien connue des oncologues, HER2.
Listeria contre le cancer
HER2 (Human Epidermal growth factor Receptor 2) est une protéine surexprimée dans plusieurs types de cancers : sein, œsophage, poumon, pancréas… et ostéosarcome. OST-HER2 s’appuie sur une technologie peu conventionnelle mais prometteuse : l’utilisation de la bactérie Listeria monocytogenes, génétiquement modifiée pour transporter l’ADN thérapeutique.
Injectée chez l’animal, cette Listeria affaiblie stimule une puissante réaction du système immunitaire. Celui-ci apprend alors à reconnaître et détruire les cellules exprimant HER2, en particulier les cellules tumorales. Une sorte de « vaccin » personnalisé contre le cancer.
Un essai clinique canin concluant
OS Therapies a d’abord testé OST-HER2 chez des chiens atteints d’ostéosarcome. Les résultats, publiés dans la revue Molecular Therapy, ont été impressionnants :
ralentissement de la croissance tumorale,
réduction des métastases,
allongement de la survie,
et dans certains cas, évitement ou report de l’amputation.
Ces succès ont permis de créer une filiale vétérinaire, OS Animal Health, qui prévoit de commercialiser le traitement pour les chiens. Mais ce n’est pas tout : les données recueillies chez l’animal ont directement été utilisées pour lancer des essais chez l’enfant, dans le cadre de ce qu’on appelle l’oncologie comparative.
Un bond en avant pour les enfants atteints d’ostéosarcome
En janvier 2025, la société a publié les résultats de son essai clinique de phase 2b chez l’humain, concernant des adolescents et jeunes adultes (12 à 39 ans) souffrant d’un ostéosarcome métastasé, traité chirurgicalement. Résultat :
une amélioration statistiquement significative de la survie sans récidive à 12 mois,
une hausse nette de la survie globale à un et deux ans,
et très peu d’effets secondaires graves.
Selon les chercheurs, OST-HER2 pourrait révolutionner la prise en charge de ce cancer, pour lequel il n’existe aujourd’hui aucun traitement approuvé en cas de rechute métastatique. La Food and Drug Administration (FDA) a d’ailleurs accordé au traitement plusieurs labels accélérateurs : Fast Track, Orphan Drug et Rare Pediatric Disease Designation.
Une demande d’autorisation de mise sur le marché est prévue d’ici fin 2025, aux États-Unis.
Une nouvelle ère de médecine interespèce
Ce projet est un exemple frappant de ce qu’on appelle la médecine « One Health » : l’idée que la santé humaine et animale sont profondément interconnectées. En étudiant le cancer chez le chien, les chercheurs ont non seulement trouvé un traitement prometteur pour l’animal, mais aussi gagné des années de développement pour un médicament pédiatrique humain.
Et maintenant ?
L’histoire d’OST-HER2 pourrait bien ne pas s’arrêter à l’ostéosarcome. La plateforme thérapeutique utilisée par OS Therapies, fondée sur l’immunothérapie ciblée via Listeria, pourrait être étendue à d’autres tumeurs solides exprimant HER2. Si l’autorisation est accordée, ce traitement issu du monde vétérinaire pourrait devenir l’un des premiers médicaments contre le cancer humain à avoir été testé avec succès chez le chien avant l’Homme.