Le Mémorial d’Auschwitz a lancé une réplique numérique « historiquement fidèle » de l’ancien camp de concentration, destinée aux cinéastes pour y situer leurs films. Depuis la fin des années 1980, les tournages sur le véritable site – où plus de 1,1 million de personnes ont été assassinées par le régime nazi – sont réservés uniquement aux documentaires.

Jeudi, lors d’une conférence organisée par le Marché du film du Festival de Cannes, les idéateurs du projet Picture from Auschwitz ont annoncé avoir utilisé des technologies de numérisation 3D de pointe pour construire un modèle numérique du camp, correspondant à son état actuel brique par brique.

Une deuxième phase de ce projet, évalué à 1,5 million d’euros (2,3 millions $ CA) consistera à numériser en 3D le site adjacent de Birkenau, environ 30 fois plus vaste qu’Auschwitz, ainsi qu’à reconstituer numériquement de manière fidèle les fours crématoires et chambres à gaz détruits par les nazis à la fin de 1944.

Nous répondons à un besoin croissant, a déclaré Wojciech Soczewica, directeur général de la Fondation Auschwitz-Birkenau. De plus en plus de gens viennent visiter Auschwitz parce qu’ils s’intéressent à l’histoire, et il est de notre responsabilité de fournir à l’industrie cinématographique des ressources crédibles.

Wojciech Soczewica a ajouté que le modèle de licence pour Picture from Auschwitz n’avait pas encore été finalisé, mais que les éventuelles redevances seraient directement reversées au mémorial, contribuant ainsi à sa mission de commémoration des victimes.

La réplique d'Auschwitz a été dévoilée jeudi dans le cadre du Marché du film au Festival de Cannes.

Photo : Site web du Musée national Auschwitz-Birkenau

Des questions d’ordre moral

La création de la réplique numérique permettrait théoriquement de contourner l’interdiction de tournage de fictions en vigueur sur le véritable site, mais elle soulève des questions d’ordre moral sur le genre de films qui pourraient s’en servir.

Le Mémorial Auschwitz-Birkenau a expliqué que l’interdiction visait à préserver le site et à éviter des fermetures temporaires, plutôt que des questions morales. Mais certaines personnes soutiennent que situer des fictions à Auschwitz est tout simplement contraire à l’éthique.

En 1963, les réalisateurs du film polonais acclamé La passagère avaient obtenu la permission de tourner à Auschwitz, mais le site a été jalousement gardé depuis.

Au début des années 1990, Steven Spielberg s’était vu refuser l’autorisation de tourner La Liste de Schindler dans le camp même. Il avait alors filmé une scène à l’extérieur du célèbre portail d’entrée et construit des répliques des baraquements à proximité du site.

Un tournage devant la réplique numérique du camp de concentration d'Auschwitz.

Photo : Site web du Musée national Auschwitz-Birkenau

Le célèbre film La vie est belle de l’Italien Roberto Benigni, dont une partie de l’intrigue se déroule dans un camp de concentration, a été tourné dans une usine abandonnée près de Papigno, en Ombrie, tandis que Le fils de Saul du Hongrois László Nemes, lauréat d’un Oscar, a été tourné en périphérie de Budapest.

Plus récemment, le film La zone d’intérêt – Oscar du meilleur film étranger en 2023 – a été tourné sur un terrain en bordure d’Auschwitz, mais le réalisateur Jonathan Glazer avait fait le choix artistique de ne pas filmer au-delà des murs du camp.

En 2023, le réalisateur autrichien Michael Haneke (Funny Games, Le ruban blanc, Amour) avait critiqué Steven Spielberg pour La liste de Schindler dans une entrevue avec The Hollywood Reporter.

L’idée même de faire du divertissement à partir de cela […] d’essayer de créer un suspense à savoir si ce qui va sortir du pommeau de douche, c’est du gaz ou de l’eau, m’est tout simplement indicible, avait-il expliqué.

Les lignes ne sont pas encore tracées, selon le Mémorial d’Auschwitz

Questionné lors de la conférence à Cannes sur le genre de films qui pourraient utiliser la réplique numérique du camp, le porte-parole du Mémorial d'Auschwitz, Pawel Sawicki, a insisté sur l’importance primordiale de l’exactitude historique.

Lors de l’évaluation des propositions de films, nous plaçons l’exactitude historique au-dessus de tout : Est-ce que c’est réellement ce qui s’est passé à Auschwitz? Ou ce qui aurait pu s’y passer, en fonction des témoignages, des documents historiques et des décennies de recherches?

Pourrait-on voir dans les prochaines années des films d’horreur, d’action ou encore des jeux vidéo campés à Auschwitz? Il faudra voir les règles qui seront décidées par le Mémorial d'Auschwitz.

Les lignes ne sont pas encore tracées, car c’est quelque chose de très nouveau pour nous, mais il y aura certainement des limites, a expliqué Pawel Sawicki.

Le camp ne doit en aucun cas être utilisé comme un simple décor. Si une proposition vise à faire un film qui déforme l’histoire, déshonore la mémoire des victimes ou a pour seul but le divertissement, c’est un signal d’alarme pour nous.

Avec les informations de The Guardian