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L’été met notre patience à l’épreuve : il l’inspire, la cultive… et parfois la fait fondre sous la soleil. Cette série de trois textes explore ses racines, ses pratiques et ses limites estivales. Premier arrêt : la philosophie.
Dans un monde pressé, quelle place tient la patience ? Cette dernière a occupé les philosophes de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, mais paraît de plus en plus rare à notre époque face à ses urgences. Réflexion avec Emmanuel Housset, professeur de philosophie à l’Université de Caen-Normandie, auteur de l’article « La douceur de la patience », paru dans la Revue d’éthique et de théologie morale en 2008, et lauréat du Grand Prix de philosophie de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre.
Commençons par une question simple en apparence, mais complexe en réalité : qu’est-ce que la patience à vos yeux ?
La patience, c’est d’abord la capacité à donner son temps. Nous avons beaucoup de mal à le faire parce que nous avons du mal à sortir de nous-mêmes, nous nous enfermons facilement dans nos préoccupations et dans nos objectifs. Pourtant, dans mon esprit, la patience est la capacité à être à l’écoute des autres. C’est le fait de ne pas pouvoir exiger d’autrui qu’il réponde immédiatement à mes attentes, que ce soit finalement dans l’amitié, dans la vie de famille ou dans les relations en général.
Être patient, c’est aussi être capable d’endurer les autres — ce qui n’est jamais simple —, mais, au-delà de ça, c’est aussi la capacité de se dire que l’autre a son temps propre et que je ne peux pas forcer ce temps-là si je l’estime et si je l’aime.
La patience représente aussi la faculté d’attendre — et de tendre vers — un but incertain, intangible, qui peut reculer à mesure que nous en approchons, mais qui oriente la boussole de nos vies. La vraie patience, en ce sens, c’est la capacité de ne pas perdre de vue le fait qu’en dépit des difficultés, en dépit des tyrannies, par exemple, il y a un horizon plus lointain de la paix, de la justice, de la vérité.
Comment la signification de la patience a-t-elle évolué au fil de l’histoire ?
La patience représentait la racine de toutes les vertus jusqu’à la toute fin de la philosophie médiévale. Dans la pensée grecque, elle n’était pas simplement une des vertus, mais la condition de toutes les autres. Elle signifiait la capacité à endurer le monde et le temps. L’Odyssée d’Homère peut se lire comme une ode à la patience d’Ulysse et de Pénélope face à l’adversité qui sépare les deux époux.
À Rome, les stoïciens ont aussi élevé la patience au rang de vertu suprême. L’image de Sénèque est celle de l’homme patient semblable au rocher qui subit l’assaut des vagues sans broncher. Dans la Bible aussi, la patience occupe une importance prépondérante. La figure de Job, par exemple, est en quelque sorte l’incarnation de la patience.
Dans la religion chrétienne, la patience paraît être une condition du salut : il faut endurer les souffrances terrestres pour accéder au ciel. S’agit-il d’une patience plus docile, contrairement à la patience de la philosophie antique plus proche de la sagesse ?
Dans le christianisme, l’homme patient n’est pas simplement l’homme impassible, c’est-à-dire celui qui serait capable de tout subir et de tout supporter. Devenir patient, c’est surtout ne pas perdre espoir. Il y a, c’est vrai, la souffrance à endurer, mais aussi la manière dont nous accueillons cette souffrance pour éviter qu’elle nous envahisse au point de nous déterminer totalement.
Pourquoi la perception de la patience connaît-elle un renversement radical à la fin du Moyen Âge ?
Ce changement de perspective est très lié au changement dans la compréhension du monde et dans la compréhension de l’homme amorcé par les Lumières. C’est un véritable tournant parce que le monde devient un vis-à-vis qu’il faut maîtriser, alors qu’auparavant, c’était une force qui imposait sa propre cadence à l’humanité. Nous devenons, individuellement et collectivement, responsables du sens du monde en quelque sorte. La patience ne reste plus seulement une capacité à attendre le développement des choses, mais aussi une capacité à vouloir. L’homme n’est plus celui qui se définit par la place qu’il occupe dans la nature, mais devient celui qui se définit par sa volonté et par sa capacité à se déterminer lui-même.
La patience devient alors une tâche envers soi-même, qui est parfois sans indulgence. Nous pouvons devenir extrêmement exigeants par rapport à nous-mêmes : dès que nous subissons un échec, nous tentons systématiquement de le surmonter sans, parfois, nous donner le temps. Ce changement introduit une certaine impatience dans la patience.
La patience a donc longtemps occupé les philosophes, et chaque grande religion lui a accordé une place importante. Cependant, elle constitue une denrée plutôt rare de nos jours. Pourquoi, à votre avis ?
Sans vouloir donner une signification trop morale au terme, je pense que c’est lié à une forme d’égoïsme. Ça ne veut pas dire que nous n’aimons pas les autres ni que nous n’avons pas de rapport à autrui, mais que nous sommes toujours un peu centré uniquement sur soi-même. La générosité, ça ne consiste pas à donner des biens matériels, mais bien d’abord à donner de soi, c’est-à-dire de son temps. Je pense que c’est ça, la sagesse, finalement.
Les communications et les transports ont atteint des vitesses inégalées dans l’histoire de l’humanité et, pourtant, notre époque semble cultiver l’impatience. Comment expliquer ce paradoxe ?
Je pense que l’impatience est un luxe et que nous nous habituons toujours très vite au luxe. Quand nous tombons en panne, nous ne nous étonnons même plus qu’un dépanneur arrive dans la demi-heure qui suit. C’est devenu la norme, et c’est plutôt quand le dépanneur accuse 10 minutes de retard que nous jugeons la situation anormale.
Nous ne savons plus attendre. Parfois, l’impatience peut être bonne, par rapport aux injustices, par exemple. Elle peut aussi être dangereuse quand elle exprime l’incapacité à différer des besoins qui ne sont pas essentiels. C’est pour ça qu’il y a un côté un peu puéril dans notre impatience contemporaine, à savoir que nous voulons tout, tout de suite, un peu comme l’exige un enfant.
Quelles sont les conséquences de notre impatience contemporaine ?
Je pense que l’humanité a du mal à s’aimer elle-même dans ce monde. Elle aime des images de lui-même, mais elle ne s’aime pas toujours véritablement elle-même. Elle se demande finalement ce qu’elle doit faire exactement de l’existence, et quels sont les buts les plus importants de celle-ci. Nous nous fixons des objectifs finis — devenir riche ou puissant — au point d’en oublier les buts qui ne sont pas exactement de l’ordre du temps, par exemple la recherche de la sagesse, la recherche du souci d’autrui, la capacité à accepter, aussi, les rencontres inattendues.
L’impatience a-t-elle aussi des répercussions à l’échelle de la société ?
Oui, parce que nous avons beaucoup de mal à accepter la lenteur. Cela peut produire de l’exclusion, par exemple envers les personnes âgées. Nous voudrions dialoguer tout de suite, immédiatement, sans par exemple attendre les mots de la personne âgée ni respecter sa capacité à s’exprimer ou à rester en silence avec elle, sans vouloir à tout prix qu’il y ait un échange d’idées ou d’informations.
Cette exclusion peut toucher tous ceux et celles qui ne s’adaptent pas au rythme imposé. C’est parfois extrêmement difficile d’accepter qu’un enfant ait besoin de plus de temps qu’un autre pour apprendre. Un enfant qui aurait tout simplement eu besoin d’un an ou deux ans de plus pour apprendre va être écarté du système scolaire. C’est aussi une forme d’exclusion suscitée par l’impatience.
Cela se traduit sur le plan politique dans la mesure où l’exigence d’efficacité fait qu’on ne favorise que le court terme, même si les idéaux de justice, de liberté, d’égalité demandent du temps. La démocratie aussi demande du temps et des résultats sur le temps long. L’impatience peut nous porter vers des régimes plus autoritaires, qui ne s’encombrent pas du temps de discussions nécessaire pour parvenir à un consensus.
Cette entrevue a fait l’objet d’un travail d’édition pour en simplifier la compréhension.
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