Coup sur coup, nous venons d’enchaîner deux superbes humiliations (parmi d’autres) des Français par nos responsables les plus éminents du pouvoir exécutif : Emmanuel Macron à la télévision, et François Bayrou à l’Assemblée. Les deux, chacun dans son genre, se comportent avec un mépris souverain pour les responsabilités qui leur sont confiées et pour les Français qu’ils sont supposés gouverner et représenter. Mais ont-ils tort, ces messieurs au chaud sous les ors de la République ? Au-delà de quelques babioles qui nourrissent des colères vitupérantes avec force bière en canette sur un canapé devant un écran géant de télévision acheté à crédit, plus aucun Français ne s’indigne de cette déchéance démocratique. On hurle contre « l’impuissance » face à la caste qui monopolise le pouvoir, et on se rendort. Au fond, qui est le plus coupable : Macron, Bayrou, qui piétinent les Français, ou les Français qui n’ont plus aucune réaction digne face à ces comportements ? Et pourquoi Macron et Bayrou devraient-ils se priver de menus plaisirs, lorsque le peuple les accueille avec autant de joie passive ?

Longtemps j’ai vécu en Belgique dont je continue à suivre, de loin en loin, la vie politique. Longtemps, je n’ai pas compris pour quelle raison les Wallons acceptaient de se laisser maltraiter, humilier, et parfois diffamer par les Flamands. Et, après quelques années, j’ai compris la logique de leur passivité : pourquoi se révolter contre un oppresseur qui perd de l’énergie à vous maltraiter, quand vous pouvez jouir de votre passivité et en tirer un plus grand profit. Pourquoi risquer sa vie à être respecté, quand on peut tirer un profit matériel plus grand de l’humiliation et de l’avachissement ?

Et ce fut bien la logique des Wallons, en Belgique, dès les années 50 : les Flamands peuvent bien nous prendre pour des esclaves, en attendant nous sommes là ! et nous avons des droits à pension, au chômage, aux remboursements maladie, qu’ils ne nous voleront pas ! et dont nous profiterons fièrement pour leur montrer qu’ils ne peuvent rien contre nous. Leurs hurlements ne changeront pas nos vies. Notre revanche git tout entier dans les chèques qu’ils nous versent chaque mois en nous vomissant.

Nous ne sommes ici pas très loin de la fable du chien et du loup chez La Fontaine. Pourquoi vivre maigre et précaire dans la liberté, quand on peut jouir d’une confortable soumission, qui n’interdit certainement pas de vociférer contre le mauvais traitement qu’on subit ! Et si les maîtres ont un peu d’oreille, ils écouteront sans doute les doléances et y accèderont au moins en partie. Ce sera toujours ça de gagné ! À force de nous plaindre, de geindre en bons avachis, nous améliorerons notre sort. Ce n’est pas très glorieux, mais rien n’est donné en ce bas monde.

Macron et Bayrou, ces maîtres décomplexés

Entre la situation des Wallons, au tournant de 1980, qui ont accepté d’avaler toutes les humiliations flamandes pour garder leur système de retraite, de chômage et de surendettement chronique, et la situation des Français aujourd’hui, quelle est la différence ? Les Français sont de vieux matous perclus de rhumatismes bien au chaud sur leur radiateur. Ils adorent parler de leurs petites souffrances, de leurs douleurs d’ancêtres, de leurs minuscules malheurs transformés en catastrophe nationale, ils adorent s’en plaindre et en dénoncer les méfaits (toujours attribuables au capitalisme, à l’inégalité, à l’individualisme, et autres mots fourre-tout qui n’abusent plus que les complices de la mascarade).

Mais les Français ont-ils envie de fournir les efforts nécessaires pour passer du stade de chien au stade de loup ? Ont-ils envie d’oser une émancipation pour ne plus avoir à se plaindre de la domination de quelque maître ? Non, bien sûr. Jouir en se plaignant est si facile, si agréable. Assumer librement ses choix est si douloureux.