Samedi soir, après le match du Paris Saint-Germain, quelques-uns des jeunes émeutiers sont montés et se sont photographiés sur la statue de Jeanne d’Arc, rue de Rivoli. Quand je lis les commentaires dans la droitosphère, je ne sais pas ce qui l’emporte, de l’indignation ou de la perplexité. La perplexité vient de ce que les jeunes gens concernés semblent ignorer totalement à qui correspond la statue recouverte d’or. Cinquante ans de refus d’intégration des enfants d’étrangers par l’enseignement de l’histoire ont porté leurs fruits. Je m’amuse aussi à constater que personne ne mentionne le drapeau palestinien, qui ne dépare pas la statue de Jeanne d’Arc, au contraire!

Le vandalisme analphabète : une brève lecture psy de cette photo.

Le plus frappant n’est pas tant qu’ils soient montés sur la statue de Jeanne d’Arc pour s’y exhiber, la souiller et la réduire à un accessoire de mise en scène, que le vide qui porte cet acte.

1/8 pic.twitter.com/YeUe8WjeHk

— Axelle ᛉ (@ailensile) June 1, 2025

Le post X ci-dessus est l’une des perles d’un long collier de lamentations: rendez-vous compte, Jeanne d’Arc, ils ont osé !

J’ai retenu ce post parce qu’il me semble emblématique des contradictions de la France contemporaine. Son auteur se présente comme

« Psychologue enracinée en terres de Gascogne, ex-prof de lettres • 12 ans d’instruction en famille • Chasseresse • Montagne, identité et traditions ».

Bien loin de moi l’ironie ou l’envie d’écrire une comédie. Nous sommes face à la tragédie française. Lisez le fil/thread d’Axelle. Molière l’aurait campée en « précieuse ridicule ». Elle ne cherche plus à briller dans un salon, même d’une petite ville. Elle s’est créée un cocon de bourgeoise post-moderne et elle frémit sur la horde barbare qui a envahi Paris samedi soir.

On reconnaît un arbre à ses fruits

Notre « psy »-ex-prof de lettres oscille de la peur à l’insulte. Comme les mots sont pour elle un plaisir solitaire, on passe du « vandalisme analphabète » au « nihilisme analphabète ». Et notre Dianicule chasseresse de Gascogne, bien à l’abri de son identité façon « retournons dans le ventre de Maman, il y fait chaud, c’est top! », d’employer des grands mots:

Ce n’est pas une communauté, mais une meute, pas au sens animal, mais au sens désaffilié : sans dette et sans limite. Et pendant ce temps, la société détourne les yeux, trop occupée à ne pas « stigmatiser », trop anesthésiée pour nommer ce qu’elle voit, trop soumise

Axelle passe à côté de l’essentiel. J’ai déjà cité ce souvenir de 1994, à l’occasion d’un colloque sur les programmes d’histoire à l’Ecole Normale Supérieure. Dominique Borne, notre ancien professeur d’hypokhâgne, à Eric Verhaeghe et moi-même, devenu Inspecteur Général de l’Education Nationale, en charge de la refonte des programmes, eut cette formule qui annonçait tout:

« Le problème des programmes d’histoire, c’est qu’ils sont trop gallocentrés ».

Entendez qu’ils parlaient trop de la France.

Je me souviens d’avoir pensé en entendant ce très bon professeur devenu un catastrophique apparatchik de l’Education Nationale: « Mon salaud! Tu nous expliques donc qu’il ne faut pas enseigner l’histoire de France aux enfants d’immigrés. Mais à quoi seront-ils intégrés, alors? »

La responsabilité des soi-disant élites françaises depuis un demi-siècle est gigantesque. C’est pourquoi je ne m’acharnerais pas sur les gamins de cette photo. Nous avons besoin d’une révolution et sa première tâche sera de mettre à la retraite tous les responsables de notre déclin.

Jeanne d’Arc et le drapeau palestinien

Et puis ces jeunes, au moins, à la différence de notre classe politique et de notre monde dirigeant (si l’on ose dire), ils brandissent un bout de réalité: le drapeau palestinien, celui d’un peuple occupé, écrasé, qui lutte pour sa vie, sa terre, sa liberté. Cela ne dépare pas la statue de Jeanne d’Arc.

Là se trouve toute l’imposture de la droitosphère: on préfère s’en prendre à ces jeunes qu’aux responsables de leur ignorance! Et puis l’épisode du drapeau palestinien le montre: il y a toujours un chemin vers l’instruction! Seulement voilà, si je commence à comparer le combat des Palestiniens pour leur vie, leur terre, leur liberté à celui de Jeanne d’Arc, je vais entendre bien des noms d’oiseaux à mon adresse….

Ce n’est pas seulement un réflexe de professeur, qui cherche toujours par où il peut accrocher l’attention d’un élève. Je réagis aussi comme un Français qui aime son pays de toutes ses fibres: le drapeau palestinien, associé au drapeau français, est ce qui pourrait donner un sens à la vie de ces jeunes, les orienter vers le début d’une intégration. Evidemment, la politique du gouvernement français est à l’opposé de ce qu’il faudrait!