Les sénateurs examinent à partir de ce lundi la proposition de loi fast fashion, qui a bien évolué depuis son adoption à l’Assemblée. Pour certains, le texte pourrait carrément passer à côté de ses objectifs initiaux.

Léa Guyot - Aujourd'hui à 18:15 | mis à jour aujourd'hui à 18:20 - Temps de lecture :

Pollution, conditions de travail déplorables, crise du secteur de l’habillement… Les petits prix de la mode éphémère coûtent en réalité très cher.  Photo Sipa /Ugo AMEZ Pollution, conditions de travail déplorables, crise du secteur de l’habillement… Les petits prix de la mode éphémère coûtent en réalité très cher.  Photo Sipa /Ugo AMEZ

Le gouvernement a décidé d’en découdre avec Shein et Temu. Les géants chinois de l’e-commerce à prix cassés sont dans le collimateur des pouvoirs publics depuis le début de la guerre commerciale entre Pékin et Washington. Pour réguler l’afflux de marchandises chinoises en Europe et lutter contre la « concurrence parfois très déloyale de certaines plateformes », l’exécutif a dégainé un plan en avril. Au programme : un triplement des contrôles sur les références chinoises et de possibles « frais de gestion » sur chaque petit colis entrant sur le territoire. Mais il compte aussi (et surtout) sur une loi pour enrayer la folle progression de l’ultra fast fashion.

 « C’est un véritable recul »

Votée par les députés à l’unanimité en mars 2024 , la proposition de loi « visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile » sera examinée à partir de ce lundi au Sénat, après des mois d’atermoiement. Mais le texte n’a plus grand-chose à voir avec la version adoptée à l’Assemblée. « C’est un véritable recul », s’inquiète Pierre Condamine, chargé de campagne surproduction aux Amis de la Terre. En commission, les sénateurs ont modifié la définition de la mode éphémère, excluant « des marques de fast fashion comme Primark, H & M et Zara » de la portée de la loi, alors qu’elles sont loin d’être irréprochables, déplore le responsable associatif.

Au contraire, Bernard Cherqui, le président de l’Alliance du Commerce, s’en réjouit. En ne ciblant plus que l’ultra fast fashion, le texte évite selon lui les « effets de bords » pour les entreprises françaises. « Si on en reste là, ce sera vraiment un coup d‘épée dans l’eau », prévient Pierre Condamine. D’autant ce n’est pas le seul renoncement proposé par les sénateurs : Sylvie Valente Le Hir, la rapporteuse (LR) à la chambre haute, entend limiter l’interdiction de la publicité aux seuls influenceurs au regard du « risque d’inconstitutionnalité » – quand bien même cette interdiction est recommandée par une mission d’inspection.

Surtout, la sénatrice souhaite que le malus écologique que devront payer les marques les moins vertueuses (de 5 euros par vêtement en 2025 à 10 euros en 2030) soit conditionné à certaines « pratiques industrielles et commerciales ». Un terme « flou » qui fait courir le risque que « même les premiers concernés, Shein et Temu, ne soient pas concernés », craint Pierre Condamine. Comme lui, Maud Hardy, la directrice générale de l‘éco-organisme Refashion, juge « indispensable » de revenir à la version précédente. À savoir un système de prime et pénalité basé sur l’affichage environnemental (lire par ailleurs), qu’elle juge « objectif, robuste ».

Pression contre la mode jetable ou écologie punitive ?

Après un vote solennel le 10 juin, la proposition de loi fera l’objet d’une commission mixte paritaire (CMP) entre députés et sénateurs, où elle pourra être amendée. Pierre Condamine espère que le texte retrouvera son ambition première, malgré « le lobbying de la fast et de l’ultra fast fashion ». Explosions des dépenses de représentation, vaste campagne sur les réseaux sociaux avec « la papesse des influenceurs » Magali Berdah, rencontres avec des sénateurs… Shein a mis le paquet ces derniers mois. L’entreprise chinoise a même commandé une étude d’impact à un cabinet économique, qui alerte sur « une hausse des prix de +50 % d’ici 2030 ».

« On nous accuse à tort d’avoir détricoté la proposition de loi, alors qu’elle ne cible plus que Shein », se défend Quentin Ruffat, le porte-parole français de l’entreprise, selon qui « la majorité des entreprises françaises de textile se fournissent pourtant en Chine ».

Et le directeur de la communication de qualifier la proposition de loi fast fashion de « taxation régressive qui frappe le portefeuille des consommateurs sans apporter de solution significative ». En trois ans seulement, le chiffre d’affaires de Shein a progressé de 900 %. Au total, l’industrie textile, l’une des plus polluantes au monde, est responsable de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Un chiffre qui pourrait atteindre 26 % d’ici 2050.